Voici vingt ans que Tom Poisson vogue avec élégance sur les flots de la chanson française. Son septième album solo Jean-Michel fait souffler sur l’hiver un vent de poésie et de légèreté. Une célébration de la contemplation.
RFI Musique : Jean-Michel, c’est votre vrai prénom. Pourquoi intituler ainsi ce nouveau disque ?
Tom Poisson : Je ne l’avais pas décidé ainsi initialement, et à la fin de l’album, je me suis aperçu que l’intégralité des textes était très intime et que c’est une façon de me raconter aux autres et aussi à moi-même.
Le titre Y’a du bruit est paradoxalement un appel au silence… Vous en faites aussi l’apologie dans L’éphémère du mandala…
L’éphémère du mandala me définit bien. Je suis lent, j’ai besoin de temps et je ne me reconnais pas forcément dans notre époque. Cela répond aussi à Y’a du bruit, ode au silence et à la nuance. On nous demande en permanence de choisir un camp. On se doit d’avoir vite un avis sur tout au lieu de laisser parler ceux qui savent et surtout de s’écouter et de respirer. La pensée binaire est partout et les réseaux sociaux en sont un peu la vitrine bien sûr puisque les gens s’y lâchent et n’hésitent pas, sous pseudo, à stigmatiser et livrer des injonctions. J’ai l’intuition qu’il faut au contraire prendre son temps pour appréhender la complexité.
Vous y affirmez aussi « la fin d’un modèle épuisé ». De quoi s’agit-il ?
C’est l’urgence de ralentir. Depuis que je suis en âge d’entendre les informations, j’entends la nécessité de croissance sous peine d’aller à l’échec. Il est urgent de changer de paradigme. Je n’ai pas de solution, mais c’est intuitif. Ce disque parle de moi, mais par analogie, touche beaucoup de gens, car je suis un citoyen du monde, un papa qui fait de son mieux et un petit garçon qui vient de perdre sa maman.
Vous faites l’apologie de l’imagination dans L’éphémère du mandala et Mon homme où vous invitez à garder sa part d’enfance. De quoi l’imagination vous a-t-elle sauvée ?
C’est plus l’optimisme qui m’a sauvé que l’imagination. L’optimisme m’a aidé à sortir de la mélancolie et de la nostalgie. Mon homme est parti d’une mélodie que je chantais à l’un de mes fils pour le réveiller avant d’aller à l’école.
Qui chante avec vous Le très grand imaginaire ?
Pour le coup, c’est une amie proche qui l’a écrite. Elle s’y moque de ma tendance à trouver que le monde est joli. J’avais envie de faire un duo à trois avec Alice Chiaverini et Marine André. Je trouvais cocasse que je parle et qu’elles me répondent : « arrête de rêver, tout ce que tu enjolives n’existe pas forcément », mais je m’accroche quand même !
Sa musique évoque une biguine…
Complètement. Elle était plus folk à la base, mais je voulais lui tordre le cou, j’avais envie de matière électro, d’influences anglo-saxonnes, un peu à la James Blake, Billie Eilish, tout en restant dans une matière chaude. Cela apportait de la drôlerie au texte.
Il y a aussi l’apologie du voyage, notamment sur Locomotive…
C’est plutôt la photographie d’un instant dans la vie d’un type-moi- qui vient de perdre sa maman. Ce voyage a existé, comme les paysages et le train que je décris. C’était un train hors d’âge, avec des banquettes moelleuses, défraichies, mais accueillantes, en Savoie avec, par la fenêtre, de grands rayons de lumière qui faisaient faire exploser la neige aveuglante.
Vos chansons sont souvent dansantes lorsqu’elles abordent des thèmes graves…
C’est intuitif, mais c’est peut-être une façon de leur donner plus de poids. Dans le précédent disque, Trois bleus de plus est une chanson sur les violences conjugales. La musique était plutôt enjouée et nonchalante. Parfois prendre un contre-pied du texte avec la musique est intéressant.
Denis Piednoir est à la réalisation. Qu’a-t-il apporté à votre musique ?
Il a été la cheville ouvrière du projet. On a codirigé. J’impulsais la direction et j’ai remarqué que plus je lui donnais des contraintes précises, plus cela augmentait sa liberté, il ne se sentait pas bridé, au contraire. Il a une palette immense de savoir-faire.
On le retrouvera avec vous sur scène, puisque vous avez décidé de vous produire en trio, avec également Alice Chiaverini. Pourquoi cette formule ?
C’est difficile à exprimer, mais j’aime la dissymétrie. Et l’économie est telle qu’il est difficile d’être plus nombreux. Mais là encore, la contrainte est stimulante et c’est super de travailler avec ces musiciens brillants et polyvalents. Par ailleurs, ce sont deux personnes qui ont une conscience de l’autre assez aiguisée. On sera à cheval entre un concert semi-acoustique d’une part et de l’autre un son plus électro.
Tom Poisson Jean-Michel (Super-Chahut !) 2024
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Par : Marjorie Bertin