Les Genevoises et Genevois consomment 45% d’antibiotiques de plus que la moyenne des Suisses. Une habitude qui pourrait expliquer les résistances record de certaines bactéries.
« Les antibiotiques, c’est pas automatique! » Ce vieux slogan était diffusé il y a 20 ans en France pour lutter contre l’usage systématique des précieux remèdes. Une pratique qui semble avoir dépassé les frontières: en 2021, les Romands ont consommé 40% d’antibiotiques en plus que les Alémaniques, selon des données de l’Atlas de l’Observatoire suisse de la santé (Obsan). Ce chiffre grimpe jusqu’à 45% à Genève.
Clivage culturel
Comment expliquer cet écart? Pour Stephan Harbarth, médecin chef aux HUG, il y a clairement une dimension socio-culturelle: « les Français consomment beaucoup plus d’antibiotiques que les Allemands, ce clivage se reproduit un peu en Suisse. Ce n’est pas lié au nombre d’infections mais plutôt à des questions de croyances, d’attentes des patients ». Tous les cantons romands occupent la tête de ce classement, sans exception.
La consommation réelle serait même supérieure à Genève, selon Stephan Harbarth, qui est responsable du service prévention et contrôle de l’infection au HUG: « c’est un fait connu et étudié, il y a un marché noir. Des gens ramènent des médicaments de l’étranger, ou vont en acheter en France voisine. »
Résistances record
La surconsommation d’antibiotiques inquiète. Elle contribue à rendre les bactéries résistantes au traitement. « Clairement, c’est l’effet collatéral le plus dangereux », explique Stephan Harbarth. « Nos adversaires, les bactéries, comprennent très bien qu’il faut se défendre. On a constaté depuis longtemps que les résistances sont un peu plus élevées en Suisse romande, même si ce n’est pas toujours très marqué ».
A Genève, escherichia coli, responsable notamment d’affections intestinales, en est le parfait exemple. Plus qu’ailleurs en Suisse, le bacille a appris à combattre certains traitements. Selon les tests, il résiste particulièrement à une classe d’antibiotiques, les quinolones.
Des bonnes nouvelles
Pour autant, tout n’est pas sombre dans ces statistiques de l’Obsan. Depuis 2015, partout dans le pays et particulièrement en Suisse romande, les prescriptions d’antibiotiques diminuent. Elles ont chuté d’un quart, même si le Covid-19 a probablement contribué à cette évolution.
Autre bonne nouvelle, la Suisse est l’un des pays d’Europe où la consommation est la plus basse, juste derrière l’Autriche.
Tout n’est pas résolu pour autant, estime le médecin-chef des HUG. « Il faut renforcer le message: pour beaucoup de maladies, un traitement antibiotique n’est pas nécessaire, il suffit d’attendre et de surveiller l’évolution. » Côté médecins aussi, il y a encore du travail. « Certains collègues ont encore tendance à surprescrire ou à prescrire la mauvaise classe d’antibiotiques, typiquement les quinolones pour une petite infection urinaire ».
Il y a une certaine urgence à modifier ces pratiques, car la résistance aux antibiotiques coûte des vies: selon un rapport du Département fédéral de l’intérieur de 2022, elle tue déjà près 300 personnes par an en Suisse.
Tybalt Félix avec Julien Von Roten