Plus d’un quart de siècle après ses débuts sous son nom, Werrason est devenu un artiste transgénérationnel dont la popularité se renouvelle sans faiblir, dans son pays comme à l’extérieur. Avant de monter sur scène à Paris le 18 octobre, l’ex-membre cofondateur de Wenge Musica a enrichi sa discographie avec Départ unique.

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La rumba congolaise n’est pas qu’une musique. C’est a minima un écosystème, sinon un univers parallèle. L’un de ses traits de caractère réside là, dans cette métaphore sportive employée pour annoncer le concert de Werrason ce 18 octobre à Paris présenté comme la « deuxième mi-temps » : une capacité à mettre en avant des expressions qui marquent les esprits comme on marque un but, en décalage apparent avec le contexte initial (à savoir la musique) mais suivant une logique articulée autour de plusieurs niveaux de compréhension.

Ici, il est d’abord fait implicitement référence à la précédente prestation en France de la star congolaise, au mois de février. Pour lui, c’était l’occasion d’effacer le souvenir douloureux de septembre 2021, lorsque les autorités locales avaient annulé au tout dernier moment son spectacle au Zénith de Paris en raison de possibles troubles à l’ordre public – pour des motifs politiques. Fort de ce retour gagnant effectué il y a quelques mois devant près de 7 000 spectateurs, pourquoi ne pas viser plus haut, plus grand et satisfaire ainsi tous ceux qui n’auraient pas pu prendre leurs billets ?

À travers la notion de match qu’elle dessine en filigrane, cette « deuxième mi-temps » qui se tiendra cette fois à l’Adidas Arena, d’une capacité de 9 000 places, rappelle aussi à quel point l’esprit de compétition est présent dans la musique congolaise. En la matière, le chanteur au passé de boxeur a participé à l’un des épisodes les plus mémorables : un face-à-face live, lors de la Foire internationale de Kinshasa (Fikin) en 2005, avec JB Mpiana, rival autrefois partenaire au sein de Wenge Musica. Seule l’intervention des forces de l’ordre pour disperser leurs publics respectifs avait permis de mettre fin à cette confrontation entrée dans la légende.

Le Grand Formateur

L’homme qui arriva sur scène à Bercy en 2001 sur un cheval blanc, devant 17 000 personnes, a conscience de l’attente qu’il suscite et ne ménage pas ses efforts pour y répondre. À Paris, depuis l’arrivée de toute l’équipe ou auparavant à Kinshasa, les répétitions (ouvertes au public !) filmées et postées sur les réseaux sociaux en témoignent. Elles sont l’occasion d’entrevoir les qualités des nouveaux venus, à l’image du guitariste Alfred Solo, dernière recrue qui s’était fait remarquer sur l’un des tubes du chanteur pasteur évangélique Mike Kalambay.

Grâce à son rôle de découvreur de talents devenus à leur tour des acteurs de premier plan de la musique congolaise, Werrason, surnommé depuis ses débuts « Le Roi de la forêt », est également désormais appelé « Le Grand Formateur » : parmi ceux qui ont fait leurs classes au sein de son groupe Wenge Musica Maison Mère avant de prendre des chemins solitaires figurent Ferré GolaHéritier WatanabeFabregas le Métis noir ou encore Flamme Kapaya.

Fibre affective

Le renouvellement, pour celui qui fêtera ses 60 ans fin décembre, passe chez lui par l’envie de transmettre son patrimoine artistique. Fort de son statut de monument de la musique congolaise dont l’émergence remonte à l’époque du ndombolo dans les années 90, le chanteur fait aussi vibrer une fibre affective chez tous ceux – et ils sont nombreux – qui ont grandi à l’étranger en écoutant son répertoire joué à la maison par leurs parents congolais.

À l’attention de cette Génération Berceau, à laquelle appartient notamment le rappeur Tiakola qui avait rendu hommage à son aîné à l’Accor Arena en mars dernier, ainsi que de ses fidèles, Werrason a donc enregistré un mini-album de quatre titres, lequel fait suite à Formidable paru en 2019.

Départ unique débute immanquablement par le générique, ce morceau placé selon la tradition en ouverture de l’album (certains font remonter la pratique à « Pon Moun Paka Bougé » de Pépé Kallé en 1989) et qui lui donne son nom, avec pour fonction de faire monter très vite la température en utilisant les ingrédients les plus énergétiques de la musique congolaise. Son duo avec le rappeur Chily, sur « La Vie est compliquée », scelle sa collaboration avec un des enfants de la Génération Berceau, démarche qui l’a amené en parallèle à accepter l’invitation lancée par Gradur pour son Projet Kongo en cours de finalisation.

Bien que la musique, au Congo comme ailleurs, ait été soumise ces dernières années aux évolutions technologiques avec à la clé de nouvelles sonorités et textures sonores, Werrason préfère s’en tenir à ce qu’il maitrise le mieux. Si « Fatoumata » épouse les codes d’une rumba classique des années 90, elle illustre une autre habitude ancrée en profondeur chez les artistes congolais : le libanga, cette dédicace aux contreparties souvent financières adressée à une personnalité. L’art de l’éloge semble même justifier « Pièce rare », qui mentionne par exemple Patrick Munyomo, député de Goma, ou « Kiki » Christel Sassou Nguesso, ministre et fils du président de la République du Congo. Pour briller au firmament de la rumba congolaise, comme le fait Werrason, avoir un carnet d’adresses de haute volée et un entregent en conséquence relève de l’impératif.

Par :Bertrand Lavaine

rfi.my/C6K1.x

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