Samedi … … 2010
— Allez ! On remet ça.
— Tu aimes trop ça, hein !
— S’il y en a qui aiment s’apitoyer sur les cœurs amers, moi, j’adore festoyer entre les cuisses légères, ne put s’empêcher de rimer Djo Bang avant de se dépêcher de s’arrimer à l’entrejambe de Queen Bee, la strip-teaseuse vedette de HoneyWood.

Dans une vie pas si antérieure que ça, Djo Bang n’était autre que Djorley, un collégien libidineux qui serait prêt à tout sacrifier pour être un « un étalon qui monte des juments à longueur de journée » et qui fantasmait à mort sur sa camarade de classe Detty.
Coup d’œil dans le rétroviseur
C’était un vendredi.Au crépuscule.Ils venaient de finir le sport.Deux tours du terrain rythmés par, entre autres chants grivois empruntés aux militaires en provenance d’Aloville pour des manœuvres à Mineville, qui les scandaient durant leur jogging matinal dans les rues de ce « Poumon de l’économie nationale » :« Mademoiselle, tu marches sans caleçon.Borborvidé, massordo doviménor… » ; « Achawo milamor lo, achawo milamor. Malgré gono, malgré sida, achawo milamor… »
Quinze minutes d’étirements suivis de mouvements parents et alliés.Vitesse.Saut en longueur.Et saut en hauteur, où s’est distingué Djorley. Lui qui aurait tout donné pour pratiquer le « saut en profondeur » dans le dovi de Detty. Elle qui était, à ses yeux, la plus affriolantegazelle sur la piste de la volupté.
Puis partie de foot, au cours de laquelle les meilleurs joueurs de la classe se sont illustrés, dopés qu’ils ont été par ce chant anabolisant des pom-pom girls tropicales :« Daguéala yémadé. Noussivisi daguéala yémadé… »
Deux poteaux coiffés d’une transversale, de part et d’autre d’une réserve administrative. Voilà juste en quoi consistait ce terrain de foot tracé au sable gris et tapissé, par endroits, de gazon sauvage taillé, par moments, à la machette par les élèves retardataires, absentéistes, bavards, pagailleurs…
* * *
Djorley a traîné les pieds et s’est laissé entraîner dans la houle du fessier rembourré de Detty.
De la lignée des Motimo, il était un collégien boutonneux de dix-sept moussons. Il mesurait un mètre soixante-quatre pour quarante-cinq kilos. Il était enfant de chœur à l’église catholique Saint Joseph l’Artisan de Mineville. Mais Dieu seul savait ô combien il avait à cœur d’être membre actif du club très ouvert des pointeurs de cette Manavi de Detty. Seulement, Dame Timidité lui a ôté le cran nécessaire pour que ce fantasme de fou devienneune réalité de “ouf”. Il était réduit à se rincer les yeux, et à s’astiquer le pieu en se faisant tout un Kama Sutra dans la tête.
Diminutif de Bernadette, qui sonnait à juste titre comme dirty, Detty était la digne fille de sa mère, Djenety, une boulangère aux cuisses légères dont les doigts et les orteils ne pouvaient suffire pour compter le nombre d’hommes qui avaient défilé (et qui continuaient de défiler !) dans son jardin qui n’avait plus rien de secret pour eux. À la naissance de Detty, elle n’avait trouvé mieux que de lui donner son nom de jeune fille, Mewouga, ne sachant à quel Adam croqueur de sa pomme attribuer la paternité.
Dix-neuf harmattans plus tard, la jeune pousse s’est métamorphosée en une belle et sensuelle plante avec ses soixante kilos d’exquises rondeurs pour un mètre soixante-deux. Elle était une grande passionnée de foot,et elle vouait une obsession sans bornes pour lesgoléadors de la terre de ses aïeux. Au point de se ruer dans l’arène de ces taureaux de Kwondoga pour les prendre par l’unique corne entre leurs pattes de génie et s’y embrocher à mort.
À ses heures perdues, elle jouaitles vendeuses ambulantes de pain. Officiellement, pour prêter main forte à sa mère. Mais, officieusement, pour se « donner la liberté de s’adonner au libertinage ».
Elle a jeté son dévolu sur Sethy Vouletey, justement aux bras duquel elle se dirigeait vers l’enceinte du collège plantée de manguiers et de neems.
À vingt saisons de pluies, Sethy s’imposait comme l’un des meilleurs goléadors que Mineville aient jamais connus. Du haut de son mètre soixante-douze pour soixante-onze kilos de muscles, il séduisait plus d’une avec sa belle forme athlétique et un fond érotique hors du commun. Il était capable d’enchaîner sept tours du septième ciel sans se fatiguer,ni faire perdre de sa superbe à son « 25cm ». Ce qui lui avait valu le surnom « F7 ».
L’insatiable Detty avait toutes les raisons de l’univers de s’accrocher à lui comme un fil de coton au cou d’un tigoé.
Ils s’approchaient de la petite entrée du collège taillée dans la haie de thévétia quifaisait office de clôture, lorsqu’elle s’est détachée de lui.
— Je vais pisser d’abord.
Elle s’estprécipitée vers le mur végétal.
C’était un sacrérituel chez elle : uriner avant de se faire butiner.
* * *
Plus excité qu’un troupeau d’étalons en rut, Sethy s’esthâté de rattraper Thymo, qui était à deux pas devant, pour lui annoncer :
— Elle est d’accord.
— Super !
Dix-huit saisons sèches, un mètre soixante-huit pour cinquante-sept kilos, Thymo Gbegnegan était comme un « adekplorvi »pour ce « chasseur de buts et des belles » de Sethy. Il aimait être aux premières loges pour se délecter de ses exploits sur le terrain.Il se réjouissait à l’idée de pouvoir enfin se lécherles rétines avec ses prouesses dans le plus secret de tous les jardins.
“Et pourquoi pas tirer mon premier coup ?”
— On va attendre que tout le monde soit parti, s’estmontré prudent Sethy. Et tu vas monter la garde.
— Tu peux compter sur moi.
Pour avoir un œil côté cour, et l’autre côté jardin.
* * *
Djorley avait une vue imprenable sur les fesses agbolotovi sexyde Detty en chair et en os lorsqu’elle les a dénudées avant de s’accroupir pour se soulager sous la haie de thévétia.
Une semaine plus tôt, c’étaient ses seins époustouflants qu’elle lui avait projetés en gros plan.
Il était allé chercher du pain. La cour était déserte. Sous le hangar devant leur chambre-salon en banco et badigeonné avec du goudron, Detty, un pagne aux motifs Ashanti nouéautour de sa taille « Toyota », comme le fredonnaient les tradi-chanteurs au cours des séances d’agbadja :« Alime gbadja Toyota yé, Toyota yé, Alime gbadja Toyota yé… »Donc Detty, un pagne noué autour de sa taille « Toyota », était allongée sur le ventre sur une natte. Elle était plongée dans la sieste comme si elle avait été piquée par la mouche la plus tsé-tsé. Djorley lui avait donné trois petites tapes à l’épaule. Elle s’était réveillée en sursaut et avait bondit de la natte, exhibant sans pudeur aucune sa poitrine de Bimbo d’Afrique.
— Woei ! s’était-elle exclamée, paniquée, en voyant Djorley en tenue de sport. Il est déjà l’heure ?
Djorley avait acquiescé sans quitter sapoitrine des yeux. Elle avait dénoué le pagne et l’avaitrenoué en un battement de cils, dévoilant sa petite culotte blanche le temps du flash d’un appareil photo, « photographiant » Djorley, comme les garçons polissons aimaient à le dire à propos des allumeusesdont c’était le manège pour faire tourner la tête aux mâles.
Detty exhalait un musc épicé qui avait pimenté les sens de Djorley. Il avait oublié sa faim et le pain pour y mettre fin.
— Si c’est le pain que tu veux acheter, avait si bien deviné Detty, ma mère a tout amené au grand marché de Voville.
Comme tous les vendredis où s’animait ce marché des plus mythiques au Kwondoga.
— Attends-moi, je vais me rincer et on va cheminer ensemble, avait proposé Detty.
Elle était allée prendre un vieux seau en aluminium devant la douche qui consistait en un enclos de tôles rouillées, dans un coin de la cour. Elle avait puisé l’eau d’une jarre en terre cuite plantée dans une vieille bassine remplie de sable, à côté de la porte en tôle de la cuisine faite, elle, de claies et de chaume. Laquelle cuisine jouxtait un hangar qui abritait un grand four en banco et badigeonné avec l’argile jaune : la boulangerie de fortune de Djenety.
Detty était retournée sur ses pas et avait disparu dans l’enclos de bains, au grand dam de Djorley dont le regard médusé avait suivi, tel un steadycam, le frénétique dandinement de son derrière prodigieux dessiné par le pagne.
Toute la semaine, il s’en était voulu de n’avoir pas su saisir cette perche pour la sauter. Il se disait amèrement qu’il aurait pu la suivre dans l’enclos, lui offrir de lui frotter le dos et finir par se fourrer dans saPoire Fendue en Deux qui ne l’avait que trop soumis à la tentation, plutôt que de continuer à s’astiquer le kakayi en s’imaginant en train de faire dévigblégblé avec elle.
Depuis leur entrée en sixième, trois années scolaires auparavant, elle n’avait cesse de lui mettre l’eau à la bouche. Mais elle était hors de sa portée : il était en A, et elle en B. À présent qu’ils étaient en troisième et dans la même salle de classe, ils s’étaient peu à peu rapprochés l’un de l’autre. Elle le sollicitait pour les devoirs de maison de maths et de P.C., allant jusqu’à venir chez lui. D’autant qu’il occupait seul à présent la chambre qu’il partageait avec son grand frère Djordji. Ce dernier faisait partie de la première vague des élèves du CEG de Mineville à avoir obtenu le BEPC. Il était à Aloville où il continuait ses études au lycée technique.

Detty restait chez lui parfois au-delà de minuit. Mais il n’avait jamais eu assez de culot pour la provoquer en le duel le plus sensuel et finir sur le duo des plus chauds.
Jusqu’à ce vendredi-là.
Mû par l’audace du timide, il a foncé sur elle, au moment même où elle redressait le postérieur pour remonter short et petite culotte, lui présentant, le temps d’un éclair, son intimité bordée de poils noirs qui contrastaient voluptueusement avec ses cuisses claires.
— Borborvidé, massordo doviménor, a-t-ilosé.
Detty a sursauta, a poussé un cri de frayeur et s’estrhabillée à la vitesse d’un feu de paille.
Sethy et Thymo ont accouru.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’estenquis Sethy.
Pour toute réponse, Detty a émis un « Hum » à peine audible, comme pour dire : « Je n’ai pas de bouche pour parler ».
Un soupçon de sourire aux lèvres, elle a secoué lentement la tête.
Elle n’arrivait pas à croire que Djorley ait pu agir de la sorte, lui l’enfant de chœur qu’elle avait fini par considérer comme le petit frère qu’elle n’avait pas.
Il est vrai que, parfois, l’envie lui prenait de le remercier en nature, mais quand même !
L’indignation et l’amusement la tirait chacun de son côté.
Elle s’esttournée vers Djorley :
— Ainsi donc, tu as vu mon totoyi !
— Je… euh… je n’ai pas…
— Moi aussi, je vais voir ton kakayikpoé !
Elle s’estavancée vers lui. Il a reculé. Sethy s’estrué sur lui. « Les talons se sont donnés aux fesses. » Mais Djorley n’était pas aussi dopé que Ben Johnson pour coiffer au poteau un Sethy de la trempe d’un Carl Lewis au meilleur de sa forme. Sethy l’a rattrapé en moins de vingtfoulées. Il l’a saisi au collet et l’a poussé au-devant de Detty.
— Tu veux me faire la chose mais tu ne veux pas que je voie ton machin ?
Elle lui a dénudé le bas. Il a caché son entrejambe avec ses mains. Sethy et Thymo lui ont tiré les bras de part et d’autre. Le rideau s’estlevé sur son kakayi qui avait les dimensions d’une jeune pousse de bambou mais en plus mou.
Il était tout rabougri.
Du tranchant de leur langue, Sethy et Thymo ont gravé de cuisantes blessures sur l’amour propre de Djorley.
— Kpakpabévo ! s’estécrié Thymo en éclatant d’un rire moqueur.
— Tu ne vois pas bien ou quoi ? a ironisé Sethy. Même le canard en a plus gros sous les plumes que lui dans le caleçon !
— Et c’est avec cette chose qui n’a l’air de rien-là que tu comptes occuperma « terre ancestrale » ? Il suffirait que je tousse pour que tu en sois bouté hors, comme tes pauvres cousins qui ont été expulsés d’Agege !
Ça, c’était le coup de grâce de Detty.
Elle remuait le couteau dans la plaie « Expulsion des étrangers du Nigériaen 1983 ». Trois cousins de Djorley étaient revenus du Pays de Fela avec, pour tout bagage, une grosse « radio-cassette huit piles », un lot de cassettes puis un goût prononcé pour le gbékuia. Ils passaient leurs journées à ne rien faire que se saouler la gueule de ce nectar des dieux du reggae, et à polluer Mineville de bruyantes notes de la Rebel Music, sous le regard indigné des uns et le sourire moqueur des autres.
Les points sur les i ne se sontpas fait prier :
— Les gens me prennent pour une Manavi mais mon totoyi n’est pas à la portée de tous les kakayi, séah ! Ce n’est pas parce que tu m’aides pour les devoirs de maison que tu vas penser que toi aussi tu peux avoir accès à mon dovi, hein ! Je suis après tout plus âgée que toi !Ne crois donc pas pouvoir entrer dans le même trou que tes grands frères…
— Là où nous frottons les parois, a précisé Sethy, toi, tu vas flotter, ma foi ! Est-ce clair pour toi ?
— Surtout avec ton kakayi de fourmi-là ! a ajouté Detty.
— Ça-là, ça me plaît, n’tor ! a jubilé Thymo. Kakayi de fourmi !
Comme des rafales de mitraillettes, les éclats de rire de Sethy, Detty et Thymo réduisirent en lambeaux ce qu’il restait d’amour propre à Djorley.
Un nuage de chauves-souris a assombri son ciel. Il a fait tomber dans ses oreilles une pluie de cris indigestes pour ses tympans.
Ces cris de malheur ont fusionné avec les vrombissements des véhicules des cadres de la mine de phosphates, qui a donné son nom à Mineville, et les pétarades des motos puis les clingo des gassô des ouvriers.
De la sainte trinité, l’enfant de chœur passa à un satané trio : regret, indignation et appréhension. Chiant pour son cœur. Il s’estmaudit d’avoir laissé « sa langue prendre de l’air ». Mais était-ce une raison suffisante pour qu’on lui fasse une telle misère ? De quoi aurait-il l’air désormais ? Il s’estdit qu’il aurait dû retenir sa langue de merde, se contenter de se rincer les yeux et passer tout bonnement son chemin pour aller se masturber en toute tranquillité. Il a bousillé le fusible qui faisait passer le courant entre lui et Detty. Elle allait être plus distante que jamais. Elle ne manquerait pas de parler de sa tentative foireuse à ses amies. Il serait la risée de toute la classe. De tout le collège. Et de tout Mineville ! Il ne saurait où donner de la tête…
Ce vendredi-là n’était pas du tout saint. Mais il signait son chemin de croix. Et la mise à mort de son moi sur le Golgotha.
Ses trois « Ponce Pilate » l’ont planté là et se sont dirigés vers l’une des sept salles de classe que comptait le CEG de Mineville, et qui consistaient en des apatams au toit de chaume, et aux murs constitués de claies. C’était là où le Prince des stades et sa Cendrillon allaient jouer à « Papa et maman ».