Il a ce privilège de publier des disques à son rythme. Cinq ans après In extremis, Francis Cabrel revient avec À l’aube revenant, une quatorzième livraison en univers connu, plaisante, mais sans réelle surprise. Quelques arrangements contestables ici et là, des chœurs à foison, une poésie à l’élégance et à la force d’évocation intactes.
« Dehors une averse crépite/Sur les pavés gris de la cour/Mais nos rêves sont sans limites/La jolie dame qui s’abrite/Porte à ses pendants d’oreille, du soleil…« . Du Cabrel pur-jus dans le texte, impeccable pour planter un décor. L’auteur-compositeur-interprète choisit de se caser dès le premier morceau (Les beaux moments sont trop courts), ballade avançant au rythme d’une promenade dominicale en forêt, juste rehaussée par des chœurs féminins à la Léonard Cohen omniprésents sur l’ensemble du disque.
Immédiatement un constat s’impose : le chanteur sexagénaire ne se perdra pas en route. Il n’a pas la bougeotte musicale, jamais connu cette envie impérieuse d’aller voir si c’est mieux ailleurs. Les chansons prennent leur temps, les guitares dialoguent inlassablement avec la voix forcément identifiable, la batterie martèle avec discrétion, les mots s’emboîtent dans une retenue noble.
Toujours la même exigence, la même humilité, le même soin artisanal. Raffiné et classique son songwriting, encore et encore. Un repère définitivement immuable, le résident d’Astaffort reste comme un phare dans la nuit. Plus léger et solaire que lors de sa précédente incursion discographique, mais sans cartouche tubesque ici.
Francis Cabrel a finalement abandonné l’idée d’un album concept sur les troubadours. Quatre titres néanmoins autour de cette thématique-déclic, dont un Rockstars du Moyen Âge sur lequel se mêlent le français et la langue occitane. Émanent surtout de ce À l’aube revenant quelques éclats introspectifs sous forme de bilan.
En tête, Les bougies fondues, nostalgie de l’anonymat et du temps où il était chanteur de bals (« Si un jour je croisais autour d’un village/Le chanteur que j’étais dans les bals du village/On se regarderait comme deux inconnues, la poésie/Il me dirait sûrement t’a dû en voir du monde/Il se pourrait pourtant qu’à la fin je réponde/C’est celui que j’étais qui me manque le plus/La poésie où y’en a jamais eu »). Hommage au père aussi, à travers un parallèle coupable entre le dur labeur de ce dernier à l’usine et la vie de saltimbanque du fils (Te ressembler). On y entend encore Cabrel adapter du James Taylor (J’écoutais Sweet Baby James), se pencher – ce qui semble actuellement un passage obligatoire dans la chanson française – sur le dérèglement climatique (Jusqu’aux pôles), nous inviter à se détacher de nos téléphones (Parlons-nous), célébrer la pureté des sentiments (Fort Alamour), se désoler de la disparition des librairies en ville (Difficile à croire).
On y entend enfin, malgré un rock à la papa, une jubilatoire missive adressée à Jacques Dutronc (« C’est ma chanson pour Jacques/Celui qui se la coule/Dans son jardin de Corse/Écrite à sa manière/Sans me faire une ampoule/Sans me faire une entorse/Et ça…je crois savoir »). Et là on l’aime à mourir Cabrel, piquant et tendre dans le même élan.
Francis Cabrel À l’aube revenant (Columbia) 2020
Par : Patrice Demailly