Cela faisait plus de dix ans qu’il n’avait pas signé de disque sous son propre nom et semblait s’être mis en retrait de la musique. Le chanteur et multi-instrumentiste, David Walters revient avec Soleil Kréyol, un troisième album qui convoque l’imaginaire de la soul du tournant des années 1970 et 1980. Rencontre.
Ce matin-là, David Walters est en plein marathon promotionnel et il est en retard. Il doit enchaîner notre interview avec un mini concert pour une radio parisienne aux goûts vagabonds. L’échange ira donc à l’essentiel avec un garçon plus brut qu’on se l’imaginait, beaucoup plus à l’aise dès qu’il sort de cadres trop rigides. La créolité, cette identité qu’il n’a cessé de reconstituer depuis un voyage initiatique au Togo, à l’âge de 25 ans, n’occupera qu’une petite partie d’une discussion où il sera justement question de rencontres. Il faut dire qu’en la matière, le chanteur/voyageur installé à Marseille s’y connaît. Après un début de carrière prometteur à la fin des années 2000, il s’est éloigné de la musique pour faire le tour du monde grâce à l’émission de télévision, Les Nouveaux Explorateurs, sur laquelle il travaillé durant cinq ans.
À propos de son Soleil Kréyol, il estime : « Cela fait écho à mes racines. Le soleil, c’est ce qu’on amène avec soi partout, c’est sa lumière, son histoire. Peu importe où l’on va, on amène son soleil avec soi et moi, c’est un soleil créole« . En réalité, c’est bien de cette identité métisse dont il parle, lui, le « négropolitain » né en région parisienne, aux origines martiniquaises et guadeloupéennes. Ce métissage est d’ailleurs au cœur de son travail et d’un troisième album « construit comme un film » dans lequel il a croisé le New York rêvé des années 1970/1980, avec le parcours de Nelson, un grand-père qu’il a peu connu. Un homme aux semelles de vent, originaire de Saint-Kitts-et-Nevis, dans les Antilles anglophones, et parti s’exiler vers la métropole américaine.
De la soul, du funk, et des rencontres
C’est donc la soul de ces années-là, avec ses instruments vintage, « les Fender Rhodes, les guitares basses, les vieux amplis, les vieilles reverb’« , que David Walters a choisi comme base d’une musique où se télescopent pop, jazz, et funk. Où l’on retrouve l’influence de Donny Hathaway, Marvin Gaye, ou encore du nigérian Fela Kuti… « Bwè dlo est un hommage à Fela, qui disait que l’eau n’a pas d’ennemis. Moi, je pense que le seul ennemi de l’eau, c’est l’homme. J’ai écrit ce texte parce que j’avais vu aux infos qu’on envoie des fusées sur Mars, pour aller chercher de l’eau. Je me disais : ‘Tiens, c’est quand même hallucinant qu’on dépense des millions, alors qu’une partie de la population n’ait pas accès à l’eau potable’« , raconte Walters.
Ce « morceau de carnaval » est un pont entre la Caraïbe et l’Afrique, qui invite finalement à la danse, avec son piano à pouces et ses cuivres. On ne sera pas étonné d’y retrouver Seun Kuti, le fils et héritier du créateur de l’afro-beat. Si la rencontre physique entre les deux hommes n’a eu lieu qu’après une collaboration via la messagerie WhatsApp, d’autres connaissances remontant à beaucoup plus loin ont aussi compté. Celle d’Ibrahim Maalouf, qui pose sa trompette sur le mélancolique Pa Lé, ou du violoncelliste Vincent Ségal, qui donne une teinte presque sombre à Soleil Kréyol, la chanson-titre. « Avec Bumcello, Vincent Ségal et Cyril Atef m’ont mis sur scène. Je les avais vu à La Boule Noire à Paris, et puis, je me suis dit que je voulais faire une musique libre sur scène, comme eux« , dit-il.
Une aventure collective à La Nouvelle-Orléans
Mais c’est un tout autre projet qui a ramené David Walters vers la musique, sa participation à Nola is Calling, un disque collectif réalisé autour de la Nouvelle-Orléans. Il a d’ailleurs utilisé ici la même façon d’enregistrer, très spontanée et souvent limitée à une prise pour chaque élément. « Avec Bruno « Patchworks » Hovart, le réalisateur de ce disque, nous étions comme des enfants qui s’amusent dans notre studio. On a construit ce disque dans un ping-pong permanent« , explique-t-il. Cette façon de faire est aussi valable pour des textes d’abord écrits en français et en anglais, avant de les transposer avec l’aide d’auteurs en langue créole.
Tous ces mélanges évoqueraient à Mister Walters les toiles de Jean-Michel Basquiat. « Il y a du collage, de la peinture, et quand on recule de trois mètres, on voit autre chose. C’est un peu ça, ce disque« , assure-t-il. Si l’on peut difficilement comparer la vie du peintre d’origine haïtienne, qui fut une comète de l’art new-yorkais des années 1980 avant de mourir d’une overdose à l’âge de 28 ans, et le chanteur quadragénaire, surtout connu des amoureux de musiques tropicales, on comprend bien comment les graffitis de Basquiat ont pu marquer sa création. Mais on en reste loin, très loin, avec ce Soleil Kréyol, qui invite plutôt à s’enjailler.
Alors, s’il s’agit bien d’un retour à la fête de David Walters, on espère bien ne pas attendre autant de temps pour une suite. À moins que le fait de laisser couler la vie ne soit une façon de faire pour le bonhomme…
David Walters, Soleil Kréyol (Heavenly Sweetness) 2020
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Par : Bastien Brun