Pour fêter ses vingt ans et après une décennie de pause, le groupe de rap Java remonte sur scène. Il réédite en vinyle ses deux premiers albums, Hawaï et Safari croisière, et n’a rien perdu de sa gouaille. Interview croisée avec le chanteur Erwan Séguillon, alias R.Wan et l’accordéoniste François-Xavier Bossard, dit Fixi, chevilles ouvrières de cette bande de titis parisiens qui a rendu populaire mélange rap/accordéon.
RFI Musique : On a beaucoup mis l’étiquette de « rap musette » sur votre musique. Avec Java, ne s’agissait-il pas d’explorer les musiques traditionnelles françaises…
Fixi : L’idée de Java était de trouver une réponse au hip hop qu’on faisait en France. J’ai écouté le rap qui a envahi les ondes à la fin des années 1990. Mais je voyageais déjà beaucoup dans le monde entier, et je trouvais qu’il y avait un truc qui ne collait pas avec le hip hop français. Une fois de plus, on copiait la musique qui venait des Américains, je trouvais qu’on faisait du « sous hip hop ». Les Américains ont samplé leurs disques de jazz, de soul, et ils ont ré-inventé leur folklore en mettant des paroles par-dessus. Je me suis demandé : « Pourquoi ne pas avoir la même démarche ? » C’est là que je me suis mis à chercher des 78 tours, des vieux disques de java, de fox-trot, des années 1930-40. Cela m’a permis de découvrir des grands personnages de l’accordéon comme Tony Murena, Gus Viseur ou Jo Privat que j’ai samplés et ça a donné notre tambouille.
R.Wan : C’était une réflexion. Il s’agissait juste de se demander : « C’est quoi notre identité ? » Il y a des pays comme au Brésil ou aux États-Unis, où l’on baigne dans le folklore. En France, ce sont des musiques qui ont pratiquement disparu. C’était une démarche intellectuelle, comme l’a fait Fixi, quand il est allé des claviers à l’accordéon. Si on veut s’ouvrir sur le monde, il faut bien qu’on apporte quelque chose. Ce n’est pas ce qu’on fait quand on copie une musique déjà existante. Surtout que faire de la copie, c’est ce que je faisais en sound system reggae ou avec des groupes de rap. Dans les textes, il y avait cette même démarche de mélanger l’argot avec un côté littéraire.
R.Wan, votre écriture est pleine de jeux de mots, il y a beaucoup de pastiches. Dans les chansons de Java, on retrouve l’esprit des bistrots comme dans votre emblématique Sexe, accordéon et alcool, les histoires d’amour qui ratent toujours un petit peu. D’où viennent les thématiques que vous abordez ?
R. Wan : J’ai commencé à écrire des chansons parce que je m’ennuyais à l’école. Que ce soit dans la musique ou les textes, il faut toujours qu’il y ait un côté ludique. On s’amuse à détourner les mots. Il y a des doubles, voire des triples sens. C’est comme travailler son instrument de musique, c’est du jeu. Ce qui est important, c’est de partir d’une langue française assez difficile à travailler et de la rendre rythmique. C’est un exercice de tordre les mots et de donner du sens à cela. En France, on a une tradition de chanson à texte : on prend un texte que l’on met en musique. Moi, avec Java, je pars de la musique et j’écris le texte par-dessus. Je pense d’abord à la sonorité. Le son et le sens sont indissociables.
Pour vous, Fixi, est-ce qu’il y avait cette intention de réintroduire l’accordéon, un instrument qui a longtemps été ringardisé ?
Fixi : Quand j’ai commencé à en faire, on me regardait souvent d’un drôle d’air. Le monde de l’accordéon était un peu fermé, il me prenait pour un escroc. Beaucoup de gens qui aimaient hip hop venaient me voir pour me dire qu’ils ne comprenaient pas en me disant : « Je pensais que je détestais l’accordéon et tu m’as fait aimer ça ! » C’est super flatteur, mais ça prouve qu’il y a plein de gens qui ont redécouvert cet instrument. Avant, c’était très poussiéreux, c’était plein de clichés. On s’est pas mal amusé de ce côté « boule à facettes » de l’accordéon avec Java. L’accordéoniste devait sourire tout le temps, avoir les dents blanches et l’accordéon tout neuf. D’ailleurs, je me suis souvent fait éjecter des boutiques d’accordéon parce que je leur apportais un instrument qui ne correspondait pas aux standards du marché en France. L’accordéon, c’était un peu comme les voitures, il fallait toujours qu’il soit dernier cri.
En dix ans, les quatre membres de Java ont multiplié les projets. De votre côté, R.Wan, vous avez poursuivi une carrière solo et vous avez formé le duo Soviet Suprem. Quant à vous Fixi, vous avez créé l’Ultra Bal, écrit des disques avec Winston McAnuff, et vous venez de faire paraître un hommage au célèbre batteur nigérian Tony Allen, avec lequel vous avez beaucoup travaillé. Qu’avez-vous appris durant cette décennie ?
R.Wan : J’ai appris à relativiser plein de choses. Moi, je ne me destinais pas du tout à être musicien professionnel. Je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. Java a été un accident. On a signé en 2000 avec une major grâce à trois chansons, ce qui ne se ferait plus du tout aujourd’hui. Je me suis retrouvé à pouvoir vivre de la musique. Mais ça a été extrêmement soudain et violent, car ça a marché tout de suite. C’est quelque chose que je n’ai pas très bien géré. En faisant des albums en solo, en passant par des majors et par des labels indépendants, puis en montant mon label, en multipliant les projets et en écrivant pour d’autres, j’ai appris un métier. Revenir dix ans plus tard avec Java, c’est beaucoup plus serein. Il n’y a plus les bagarres d’ego qu’il pouvait y avoir à l’époque. On a pris de l’assurance. On sait les ingrédients qu’il faut mettre pour que ce soit bien.
Fixi : Ça m’a permis de vivre plein de choses. Ça m’a appris d’être libre d’une autre manière et de faire des disques importants pour moi, notamment avec Winston McAnuff. Cette rencontre m’a permis d’exprimer une part de ma sensibilité que je n’exprimais pas avec Java et qui avait besoin de se libérer. Je suis entré dans mon âge adulte musical.
Qu’est-ce que Java peut dire de notre époque, qu’on pourrait résumer de cette façon : Covid-19, passe sanitaire et peu de concerts ?
R.Wan : Java s’est fait connaître par les concerts. Il y a un esprit de convivialité. Faire danser les gens ensemble, cet esprit de la rencontre, c’est quelque chose qui nous manque cruellement. Pour les quelques concerts qu’on a déjà faits, les gens sont contents parce que c’est tout ce qui manque à notre époque.
Fixi : Java n’est pas un groupe politiquement correct. On a un fond de contestation implicite, mais on n’a jamais eu de message politique clair. La question, c’est de savoir ce qu’on fait avec la Covid-19 parce qu’on parle de santé, de politique et d’information. On n’est pas forcément sur la même longueur d’ondes, R.Wan et moi par rapport à tout ça… Mon point de vue personnel comme musicien, c’est que j’accepte le fait de jouer ou de ne pas jouer. On fait moins de tournées, mais on a plus d’espace pour créer, pour faire du studio, et revoir des gens qu’on n’avait pas le temps de voir avant.
Java Hawaï et Safari croisière (Sony)
Facebook / Instagram / YouTubePar : Bastien Brun