Dans un long courrier adressé aux évêques américains, le Souverain pontife s’inquiète de la politique migratoire de la nouvelle administration américaine qui porte atteinte à la dignité humaine, réaffirme les principes d’un État de droit et exhorte les catholiques à ne pas céder aux récits discriminants.
Olivier Bonnel – Cité du Vatican
Les mots se veulent graves, à la hauteur de la crise migratoire que vivent actuellement les États-Unis, où les expulsions en masse d’étrangers, conformément aux promesses du président Donald Trump ont commencé, notamment sur la base de Guantanamo. Dans un courrier daté du 10 février, rédigé en espagnol et en anglais, le Pape François apporte son soutien aux évêques américains et rappelle les principes auxquels l’Église a toujours été attachée en matière migratoire: une vision fondée avant tout sur la dignité humaine. Des mots écrits «en ces moments délicats que vous vivez en tant que Pasteurs du Peuple de Dieu qui marche ensemble aux États-Unis d’Amérique» précise l’évêque de Rome.
François rappelle avant tout que le phénomène migratoire est enraciné dans les Écritures, à travers notamment le livre de l’Exode et le chemin du peuple d’Israël vers la liberté. Ce chemin de sortie de l’esclavage nous invite à considérer la période actuelle «comme un moment décisif de l’histoire pour réaffirmer non seulement notre foi en un Dieu toujours proche, incarné, migrant et réfugié, mais aussi la dignité infinie et transcendante de toute personne humaine».
Une « dignité infinie et transcendante »
La Sainte Famille elle-même vécut en exil, rappelle le Pape, forcée de fuir en Égypte. La famille de Nazareth reste «l’exemple et la consolation des émigrés et des pèlerins de tous les temps et de tous les pays, de tous les réfugiés de toutes conditions» souligne-t-il. «Lorsque nous parlons de « dignité infinie et transcendante », nous voulons souligner que la valeur la plus décisive que possède la personne humaine surpasse et soutient toute autre considération juridique qui peut être faite pour réglementer la vie en société», écrit encore François pour poser les termes du débat.
Dans le débat actuel qui déchire les États-Unis, après l’expulsion forcée de centaines de migrants, il est fondamental pour le Saint-Père que tous les chrétiens et hommes de bonne volonté «considèrent la légitimité des normes et des politiques publiques à la lumière de la dignité de la personne et de ses droits fondamentaux, et non l’inverse». Évoquant «une crise majeure» le Pape ne cache pas ainsi sa préoccupation devant ce qu’il nomme, avec d’autres, «la mise en place d’un programme de déportations massives». «La conscience bien formée ne peut manquer de porter un jugement critique et d’exprimer son désaccord avec toute mesure qui identifie tacitement ou explicitement le statut illégal de certains migrants à la criminalité», écrit-il. François reconnaît néanmoins le droit d’une nation de se protéger contre ceux qui ont commis des crimes, mais veut dépasser la simple réponse sécuritaire.
Ce qu’est un authentique État de droit
Le Successeur de Pierre dénonce le fait d’expulser des personnes qui, dans de nombreux cas, «ont quitté leur pays pour des raisons d’extrême pauvreté, d’insécurité, d’exploitation, de persécution ou de grave détérioration de l’environnement». Des expulsions qui bien souvent portent atteinte à la dignité de familles entières. Le Souverain pontife voit dans cette crise l’occasion de rappeler les conditions d’un État de droit, qui, selon ses mots, «se vérifient précisément dans le traitement digne que méritent toutes les personnes, en particulier les plus pauvres et les plus marginalisées».
Reprenant quatre verbes souvent répétés par le passé: accueillir, protéger, promouvoir et intégrer, le Pape est conscient que cela ne saurait entraver la mise en place d’une politique qui réglemente l’immigration ordonnée et légale. Mais, met-il en garde, «ce développement ne peut se faire par le privilège des uns et le sacrifice des autres».
Contre la loi du plus fort
François dénonce aussi dans cette lettre une société où la vie sociale et communautaire, parce que l’on se préoccupe de l’identité personnelle, est dénaturée car elle «impose la volonté du plus fort comme critère de vérité». Le Pape remercie et encourage aussi les évêques américains pour leur travail auprès des migrants, «en annonçant Jésus-Christ et en promouvant les droits humains fondamentaux». Sa missive s’achève par une exhortation aux catholiques mais aussi à tous les hommes de bonne volonté «à ne pas céder aux récits qui discriminent et causent des souffrances inutiles à nos frères et sœurs migrants et réfugiés».
C’est enfin sous le regard de la Vierge de Guadalupe, sainte patronne des Amériques que le Souverain pontife se tourne, lui demandant «de protéger les personnes et les familles qui vivent dans la peur ou la douleur à cause de la migration et/ou de l’expulsion». La Vierge noire mexicaine, précise-t-il qui a su «réconcilier les peuples quand ils étaient opposés».