Dans un monde de plus en plus façonné par les algorithmes, la data et l’intelligence artificielle, une nouvelle génération d’Africains se lève, connectée, créative et audacieuse. Leur arme ? La technologie. Leur champ de bataille ? Un continent plein de défis, mais aussi d’opportunités. Rencontre exclusive avec Helly K. Gbene, expert panafricain en veille stratégique et développement et CEO du Cabinet d’Ingénierie de Formation & Consulting – IF&C Togo, qui décrypte pour nous les enjeux, défis et perspectives d’un entrepreneuriat technologique africain en quête de souveraineté.
Journaliste : Helly Gbene (HG), on parle beaucoup de “startups africaines” et de “révolution numérique” sur le continent. Quel est, selon vous, l’état réel de l’entrepreneuriat technologique africain aujourd’hui ?
Helly Gbene :
Il est en pleine ébullition. L’Afrique est l’un des continents les plus fertiles pour l’innovation technologique. Ce qui est passionnant, c’est que nos entrepreneurs ne copient pas les modèles occidentaux, ils les réinventent. Ils font de l’innovation frugale : résoudre des problèmes complexes avec des moyens simples et adaptés au terrain. Des jeunes créent des fintechs pour bancariser les exclus, des plateformes pour l’agriculture intelligente, ou des solutions d’e-santé pour les zones rurales. Le continent a dépassé le stade de spectateur : il est acteur de sa propre transformation numérique.
Journaliste : Et pourtant, on parle toujours de pauvreté, d’infrastructures limitées, d’accès difficile au financement… Qu’est-ce qui freine vraiment cet élan ?
Helly Gbene : Trois grandes barrières : le financement, l’environnement réglementaire, et le manque de souveraineté technologique. Les startups africaines ne captent qu’une infime part (2%) des financements mondiaux. Beaucoup de projets meurent faute de capital patient. Ensuite, les lois sont souvent dépassées : créer une entreprise tech peut devenir un parcours du combattant. Enfin, on importe encore trop de technologies, au lieu d’en produire. On est consommateurs de solutions étrangères, au lieu d’être maîtres de nos propres infrastructures numériques.
Journaliste : Vous parlez de souveraineté. Pensez-vous que la technologie soit aujourd’hui un nouveau terrain de lutte pour l’indépendance africaine ?
Helly Gbene : Absolument. Après la colonisation territoriale, la domination monétaire (comme le franc CFA), et la dépendance économique, nous entrons dans l’ère de la colonisation numérique. Nos données sont stockées ailleurs, nos outils d’analyse viennent de la Silicon Valley, nos intelligences artificielles sont formées sur des bases culturelles qui ne nous représentent pas. Si nous ne réagissons pas, nous serons numériquement colonisés.
Journaliste : Alors, que faire ? Quels leviers actionner pour une révolution technologique souveraine et inclusive ?
Helly Gbene : Voici cinq leviers structurants :
1. Créer un fonds panafricain d’investissement pour la tech : alimenté par les États, la diaspora, et le secteur privé africain.
2. Lancer une zone numérique africaine commune avec des standards partagés, un cadre légal unifié et des clouds souverains.
3. Former massivement aux compétences du futur : IA, cybersécurité, robotique, blockchain. Nos universités doivent devenir des incubateurs.
4. Encourager les innovations locales par la commande publique. Que les États achètent africain, testent les solutions locales.
5. Valoriser les langues et cultures africaines dans la tech. Il est temps de coder en Ewé, en ashanti, en fon, … de programmer pour les réalités de nos marchés et de raconter notre histoire autrement.
Journaliste : Et le panafricanisme dans tout cela ? Peut-on penser une tech africaine sans une vision unitaire ?
Helly Gbene : C’est impossible. L’Afrique ne gagnera pas en ordre dispersé. Le panafricanisme technologique est notre seule carte sérieuse : mutualiser les talents, les brevets, les données, les formations. Développer des centres de recherche continentaux. Favoriser la circulation des innovations d’un pays à l’autre. Ce que je propose, c’est une stratégie de souveraineté technologique intégrale, au service d’une Afrique forte, respectée, libre.
Journaliste : Pour terminer, un message pour les jeunes entrepreneurs tech africains ?
Helly Gbene : Oui. Vous êtes les nouveaux bâtisseurs de l’Afrique. Vous avez le droit d’inventer, de rêver, de déranger, de désobéir même… si c’est pour libérer notre continent par la technologie. Mais n’oubliez jamais ceci : ce n’est pas la tech pour la tech. C’est la tech pour l’Afrique, par l’Afrique, avec l’Afrique. C’est ça, l’avenir.