Toma Sidibé est de ces artistes que la curiosité conduit en d’innombrables contrées. Sur son nouvel album Dakan, le Français, natif de Côte d’Ivoire, délaisse l’acoustique pour mieux expérimenter les sonorités afro-urbaines. Rencontre avec l’artiste à la croisée des cultures.
RFI Musique : Sur ce septième album, vous avez souhaité vous renouveler. D’où part l’idée de ce nouveau projet ?
Toma Sidibé : Cet album trotte dans ma tête depuis un certain temps et a germé entre le Mali et la Côte d’Ivoire. C’est mon septième album, mais le premier tout public depuis 2015, car j’ai travaillé pour les jeunes publics entre-temps. Je souhaitais expérimenter des sons plus modernes, ayant toujours eu une approche très acoustique, en recourant à des instruments traditionnels comme des calebasses, des djembés, des koras… J’avais envie d’un son plus puissant, de faire un album dansant. Je me suis entouré de beatmakers ivoiriens et nigérians ainsi que de mon ami Doogoo D à la direction artistique et à la composition. Sur le projet, on retrouve de l’amapiano, de l’afrobeats, du coupé-décalé, avec toujours un fond de reggae, et quelques morceaux plus posés avec du balafon.
Quel est votre rapport à ces « nouveaux » styles qui conquièrent le monde actuellement ?
Je me suis rendu compte que c’est la musique que j’écoute, qui me fait danser, qui me donne de l’énergie. Je me retrouve dans ce type de productions à la Yemi Alade, Burna Boy… Dès 2016, je baignais là-dedans en Côte d’Ivoire. Mais je m’inspire aussi beaucoup de la chanson française. Car j’aime mêler le groove et le fond.
Votre plume oscille entre le français, le bambara et le nouchi. Maîtriser ces différentes langues vous permet-il d’exprimer des choses autrement ?
Je suis né en Côte d’Ivoire, mais je connais beaucoup plus le Mali. J’y ai vécu longtemps après avoir grandi en France, et je ne suis retourné en Côte d’Ivoire qu’en 2010. Le français me permet d’être dans la précision de l’émotion, car c’est ma langue maternelle. J’utilise le nouchi, qui est très imagé, pour des expressions, des mots glissés à droite à gauche. Mes refrains, eux, sont souvent en bambara, qui est une langue mélodieuse, très belle. Je m’inspire aussi des proverbes, du rapport au sacré, au spirituel.
Pourquoi avoir opté pour ce nom d’album, Dakan, qui signifie « destin » en bambara ?
Il est difficile de trouver un titre d’album qui résume l’esprit de plusieurs chansons à la fois. C’est un mot que j’aime bien, qui a un sens fort en bambara. C’est aussi un questionnement sur le destin personnel. Qu’est-ce qui fait que j’en suis arrivé là où je suis, que je me retrouve comme un passeur de culture ? C’est tout simplement les gens que j’ai croisés dans ma vie, et qui m’ont tous, apporté quelque chose, qui ont débroussaillé le chemin de mon destin. Enfin, c’est aussi la notion de destinée commune, qui me paraît essentielle. Comment faire en sorte d’avancer à nouveau ensemble ?
C’est ce que vous exprimez dans le titre « Révolution des consciences » ?
Il y a les aspects sociaux, écologiques, spirituels… Il y a une révolution à aborder dans tous ces secteurs. L’aspect social, c’est l’Afrique qui me l’a amené, qui m’a poussé à interroger nos liens. En Occident, on est très craintifs vis-à-vis de l’autre. En voyageant, tu perçois mieux les différences. Mais tu vois surtout qu’on a tous les mêmes besoins, qu’on vit tous, les mêmes émotions.
Côté écologique, on connaît les solutions, mais il ne se passe rien. On préfère mettre en avant le développement économique, la rentabilité. En Afrique, le lien avec la nature est beaucoup plus fort. Tu es ancré dans une réalité proche de la nature. C’est quelque chose que nous avons perdu. Et spirituellement, c’est se demander comment on fait en sorte d’être un peu meilleur chaque jour.
Quel est, justement, votre rapport à la spiritualité ?
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J’ai toujours cru en Dieu. Ma mère est chrétienne, donc j’ai connu un peu l’église. Mon père, lui, est d’ascendance juive. Mais avec la Seconde Guerre mondiale, sa famille a coupé le lien, donc on n’a pas eu d’éducation au judaïsme. En revanche, mon père a voyagé en Inde, donc on a été baigné dans le bouddhisme, l’hindouisme. Le yoga, la méditation m’ont aussi construit. Au Mali, mes amis étaient tous musulmans, tout comme la mère de mes enfants et mon épouse actuelle. Je le suis devenu à mon tour. Pour moi, toutes les religions vont vers une même vérité, avec des chemins différents.
Créer du lien est donc l’essence de votre travail ?
Je milite pour. Au travers de mes spectacles et concerts, je fais en sorte qu’il y ait une vraie communion. Je travaille aussi à l’hôpital, en tant que parrain de l’association « Un hôpital pour les enfants ». La musique, pour moi, est juste une manière de tisser des liens, d’amener des moments de rêve, de rire, de convivialité, d’espoir. On a bossé avec des jeunes migrants à Poitiers, qui avaient entre 16 et 22 ans. Ils ont réalisé des chorégraphies sur certains de mes morceaux. C’était hyper fort. Je vais aussi régulièrement jouer en prison. Où que je sois, j’essaye de relier les gens dans la joie et la danse.
Toma Sidibé Dakan (Séya/ Inouïe distribution) 2025
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Par :Pablo Patarin