Orelsan et Clara Luciani, respectivement auteur d’un triplé et d’un doublé, s’emparent de la moitié du palmarès presque sans surprise de la 37e édition des Victoires de la musique. Mais face à de nombreuses voix qui s’élèvent et reprochent notamment le manque criant de diversité, l’institution vacille.
Désillusion pour Roselyne Bachelot qui, quelques minutes avant le lancement des festivités, nous annonçait son choix de cœur pour Juliette Armanet et Feu!Chatterton (« Je n’ai pas réussi à comprendre si le groupe était branché sur le réchauffement climatique »). Les deux, en embuscade dans le quatuor de tête des nommés, sont effectivement repartis bredouille. Disponible pour afficher ses goûts personnels, la ministre de la Culture, l’est beaucoup moins lorsqu’on l’emmène sur le terrain du malaise épais concernant la logique interne de la cérémonie. « Pour moi, c’est un immense spectacle populaire. Bien sûr, j’ai lu qu’il y pouvait y avoir des mécontentements, mais ce n’est pas mon boulot de nourrir la polémique ».
Le rappeur SCH s’en est chargé à sa place en allant chercher son trophée de l’album masculin le plus streamé. Dinos, Soso Maness, Ninho, Laylow, Gazo, Oboy… Autant d’oubliés des musiques urbaines qu’il n’a pas manqué de citer. « Je vous l’avoue, je suis gêné ce soir de tenir cette Victoire, sans les voir eux, ces grands messieurs qui auraient mérité tout autant que les artistes ici présents de célébrer leurs Victoires ». Grave négligence (volontaire ?) répétée d’une académie, tout aussi sourde à l’égard de l’électro et des musiques du monde.
De toute façon, il ne faut pas se voiler sa face : les Victoires privilégient davantage la dynamique d’une émission de télévision aux contours classiques d’une remise de prix. Il n’y a rien d’innocent, par exemple, à ce que les prestations musicales des artistes mastodontes soient concentrés dès le début des programmes dans le but de retenir le quidam devant son écran (au final, 2,67 millions téléspectateurs contre 3 millions l’an passé).
Belle pioche d’ouvrir par Stromae (curieux président d’honneur sachant qu’il y a de fortes chances de le retrouver parmi les nommés l’an prochain), son avatar, sa chanson Santé et sa fédératrice chorégraphie tendance Club Med. Alors, on danse avec lui avant d’être pétrifié par une Angèle loin d’avoir donné envie d’aimer Bruxelles. Souffle court et justesse aléatoire, la Belge s’est – à l’image de son décorum – sacrément « gaufrée ».
Clara Luciani, qui ne s’est pas privée d’une percée dans le public, a vite remis de l’ordre avec son jubilatoire Respire encore, suivie parOrelsan, épique, haletant et prophétisant le crash de la société avec le titre L’odeur de l’essence. On y vient à ce duo-là, sans merci pour faire main basse sur le palmarès. Comme il y a deux ans, Luciani monte sur le trône et devance à nouveau Juliette Armanet. Qui pour remettre en question le sacre attendu d’Orelsan (qui avait opté pour le coiffeur de Nicola Sirkis) tant celui-ci a marqué l’année de son empreinte percutante ? Pas besoin de faire de trop long discours pour lui, son live aura duré nettement plus longtemps que ses prises de parole cumulées. « Je ne sais pas trop quoi dire. La prochaine fois, je préparerai des blagues ». Après 2018, il s’offre en tout cas un nouveau triplé et ses neuf distinctions le rapprochent désormais à une unité de Johnny Hallyday.
Que faut-il encore retenir de cette soirée dont on doit reconnaître un ennui moindre par rapport aux précédentes éditions ? Le joli but complice et marqué par les Verts de Terrenoire, l’absence d’Aya Nakamura, Ben Mazué préféré à la surprise générale à Woodkid (show époustouflant aussi bien soniquement que visuellement), l’accoutrement du groupe L’impératrice digne de l’Eurovision, le bondissant Hervé débarquant sur scène dans une estafette, Jacques Dutronc au swing impeccable, à qui on remettait une Victoire d’honneur, (et son fils Thomas qui rappelle que Johnny Depp considère son père comme étant le premier punk), Barbara Pravi qui fait l’impasse sur son titre Voilà, le morceau attrape-cœur de Chien noir. Ou Hubert-Félix Thiéfaine, sans artifices et pourtant si conquérant.
Si la question du mérite artistique est évidemment accessoire, il n’empêche que la configuration actuelle des Victoires est véritablement arrivée à bout de souffle. À quand une refonte totale pour célébrer enfin la diversité ? Le chantier devient urgent.
Le palmarès des Victoires :
Artiste masculin : Orelsan
Artiste féminine : Clara Luciani
Chanson : L’odeur de l’essence, Orelsan
Révélation masculine : Terrenoire
Révélation féminine : Barbara Pravi
Concert : Paradis Tour, Ben Mazué
Création audiovisuelle : Montre jamais ça à personne, Orelsan
Album masculin le plus streamé : JVLIVS II, SCH
Album féminin le plus streamé : Aya, Aya NakamuraPar : Patrice Demailly