La famille recomposée est un nouvel idéal. Pas facile pourtant de s’entendre avec les enfants de son homme. Selon la psychanalyste Dominique Devedeux, qui publie « Au secours, je suis une marâtre », c’est même quasi impossible de se faire accepter. Alors comment trouver sa place ? Enquête et témoignages.
C’EST UN LIVRE QUI CLAQUE COMME UNE GIFLE
La gifle qu’on aimerait donner à cette belle-fille si insolente, qui nous cherche depuis des mois, mais qu’on ne touchera jamais. Car ce serait se comporter comme une marâtre… « Au secours, je suis une marâtre ! » (éditions Michalon), de la psychanalyste Dominique Devedeux, fait un constat terrible de la condition de belle-mère dans une famille recomposée. Selon elle, la nouvelle compagne d’un homme ne sera jamais acceptée par les enfants de celui-ci. Pendant les week-ends, les vacances, toute sa vie durant, elle subira leur hostilité. Aussi dévouée soit-elle, elle sera toujours rejetée. « J’ai écrit ce livre, explique-t-elle, pour en finir avec une vision idyllique de la famille recomposée. Depuis des années, je reçois des femmes qui souffrent beaucoup à cause de l’attitude souvent odieuse de leurs beaux-enfants, particulièrement de leur belle-fille. Il y a un formidable non-dit sur ce sujet : on se met toujours à la place de ces pauvres enfants traumatisés par le divorce et jamais à celle de ces femmes, qui n’ont pas droit à la parole. » A l’entendre, la famille recomposée n’a aucun avenir. Belle-mère, une mission impossible ? Certes, elle n’a pas tout à fait tort. Ils sont légion les témoignages de belles-mères lessivées, essorées. « Le principe, explique Marielle, 40 ans, c’est : “Tu remplis le frigo et tu fermes ta gueule.” » Allusion à l’impossibilité d’agir dans laquelle se trouve la belle-mère, sorte de Casque bleu au coeur de la zone d’hostilité domestique, empêché d’intervenir par son mandat… « Elle n’est pas la mère légitime, rappelle Dominique Devedeux, elle est venue détrôner celle-ci, elle a arraché le père à sa famille. Elle est la Voleuse, l’Intruse. C’est le fameux : “T’es pas ma mère, t’as pas à me donner d’ordres !” » Ensuite, l’enfant est pris dans un conflit de loyauté qui lui fait toujours prendre le parti de sa mère contre sa marâtre. Enfin, le père, écrasé par la culpabilité d’avoir fait subir une séparation à ses enfants, se montre formidablement laxiste. « C’est le plus dur, reprend Marielle, qui a deux belles-filles. Car c’est à lui de dire où est la place de chacun, de faire comprendre à ses enfants qu’il ne tolérera aucun débordement vis-à-vis de sa nouvelle femme. Malheureusement, mon mari ne l’a pas fait. » Marielle a bien connu les : « Tu exagères, elles ne sont pas si insolentes, et puis c’est le week-end, on ne va pas se disputer… » Cerise sur le gâteau : l’ex-femme, qui peut révéler un formidable pouvoir de nuisance. « Pendant dix ans, avoue Anne, 43 ans, l’ex de mon compagnon n’a fait référence à moi qu’en m’appelant “la sorcière”. Vous imaginez l’effet que cela fait sur les enfants… » On ne parle pas de ces ados que la mère vous envoie le vendredi soir avec un sac de linge sale, vous laissant le soin de faire les machines…
MAIS LE TABLEAU N’EST PAS TOUJOURS AUSSI NOIR
Souvent l’enfant du compagnon n’attaque pas frontalement, il préfère une tactique insidieuse. Nathalie, 38 ans, raconte comment, pendant longtemps, à Noël, sa belle-fille faisait des cadeaux à tout le monde sauf à elle – « Ah, désolée, je n’ai rien trouvé qui pourrait t’aller ! » Amandine, 49 ans, explique qu’elle avait offert un iPod à sa belle-fille, qui l’a cassé deux jours après et n’a jamais pensé à le faire réparer… Mais le pire, « c’est cette façon de ne s’adresser qu’au père, note Anne, en faisant glisser son regard sur vous, comme si vous n’existiez pas. Ma belle-fille, qui a 20 ans et vit avec nous, est toujours en train de me contredire gentiment,sur la nourriture, sur le rangement, en laissant sous entendre qu’elle connaît mieux que moi les goûts de son père… » La rivalité pour le père, voilà tout l’enjeu de laguerre belle-fille/belle-mère. Comme le dit la psychanalyste Catherine Audibert, auteure du « Complexe de la marâtre » (éd. Payot) : « Les schémas oedipiens qui existent déjà dans une famille normale – fille qui veut séduire son père, fils qui veut être aimé de sa mère – sont multipliés par dix dans une situation de famille recomposée. » A l’écouter, on ne saurait s’engager dans une aventure de ce type sans avoir fait une analyse. Ou du moins sans avoir longuement réfléchi à sesattentes, à son passé. Sous peine de voir remonter des sentiments archaïques dévastateurs. Car la famille recomposée ne provoque pas des réactions violentes que chez l’enfant. « Certaines belles-mères sont très vulnérables à l’hostilité de leurs belles-filles, ajoute Catherine Audibert. Souvent, ce sont des femmes qui ont souffert dans leur enfance d’un père distant. Quand leurs belles-filles se placent en rivales, elles revivent cette situation d’abandon, de délaissement. » Pourtant, il existe des belles-mères heureuses. « J’ai de la chance, explique Sophie, 39 ans. Mon mari et son ex s’entendent très bien, et il a tout de suite posé des limites très claires à ses enfants. Ce qui fait que j’ai pu développer des rapports de confiance avec eux. » Lucide, Sophie reconnaît que sa situation sociale n’y est pas pour rien. Un poste prestigieux dans les métiers du cinéma fait qu’elle occupe le rôle de grande soeur admirée pour la jeune Camille.
TROUVER DES PISTES POUR RÉUSSIR SA MISSION DE BELLE-MÈRE
Même lorsque les circonstances ne sont pas aussi favorables, on peut trouver des pistes pour réussir sa mission de belle-mère. « Il ne faut pas chercher à jouer le rôle de la mère, il ne faut pas trop s’investir, être en demande d’affection, prévient Marielle, qui a souffert avec ses deux bellesfilles. Parfois, je dis à mon mari de partir en week-end de son côté avec ses filles, et je pars du mien avec notre petit garçon. » Toutes les belles-mères interrogées parlent de la nécessaire distance qu’il faut instaurer avec ses « beauxenfants ». Elles décrivent une relation très particulière, très fragile. Il ne s’agit ni de prendre la place de la mère, ni d’être une simple amie ou confidente, car on partage des relations d’intimité assez fortes. « C’est assez étrange, explique Amandine. Cela demande un amour gratuit, un don de soi assez total. Car on doit faire des efforts très intenses pour arriver à créer la relation, sans pour autant espérer en retour l’amour que nous donnent nos enfants biologiques. » Même son de cloche du côté de Nathalie : « Ton enfant à toi, tu peux t’engueuler à mort avec lui, il reste quand même quelque chose d’évident, de fort entre vous. L’enfantde ton compagnon, tu ne peux pas le traiter de la même façon car il n’y a pas ce lien naturel. C’est un fil très ténu, que tu mets du temps à tisser, mais qui peut se casser à tout moment… » Autre devoir de la marâtre qui veut être heureuse : ne jamais sur-interpréter les faits. « Parfois on est parano. Face à telle situation, on se dit : “Mon beau-fils me fait ça parce qu’il m’en veut”, alors qu’on ne se poserait même pas la question pour son fils. Il faut relativiser. » Être belle-mère ? Le meilleur moyen d’arriver au zen. Et parfois à l’extase : « L’autre jour, dit Nathalie, j’ai reçu une carte d’anniversaire de ma belle-fille qui me disait que j’étais la meilleure des belles-mères. Cela m’a émue aux larmes. » La belle-mère est à l’image de notre société précaire. Dans une époque où rien n’est sûr, professionnellement, sentimentalement, elle est aux avant-postes. On lui demande de faire un incessant travail sur soi, de ne rien attendre de stable. Elle est un peu à la mère ce qu’un CDD est à un CDI : un être doté d’un statut flottant, incertain. Pourtant, au milieu de ce flou, on peut tenir bon la barre. « Un jour, explique Marielle, une de mes belles-filles m’a envoyé le fatal : “T’es pas ma mère, t’as pas à me donner des ordres !” J’ai répondu du tac au tac : “Oui, et d’ailleurs t’es pas ma fille et t’as pas à me parler comme ça !” Ça l’a calmée… » Il y a des mises au point qui sonnent comme des claques.