Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de l’Intégration Africaine,
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, de la Coopération, de l’Intégration Africaine et des Nigériens de l’extérieur,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil de l’Entente,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les anciens Premiers ministres,
Mesdames et Messieurs les Représentants des hautes autorités et des institutions de la République,
Monsieur le chef de file de l’opposition,
Mesdames et messieurs les parlementaires et représentants des autorités civiles, militaires, religieuses et traditionnelles, des organisations politiques, professionnelles, syndicales, associatives et des medias, Chers collègues membres du corps diplomatique et consulaire et représentants des organisations internationales,
Chers invités, Ce 14 Juillet est le dernier que je ferai comme ambassadeur de France au Togo. C’est un évènement toujours solennel. Mais cette année, il l’est plus encore. Il prend une teinte plus grave, pour moi qui m’adresse à vous.
Ayant pourtant choisi le métier de diplomate, un métier nomade, j’ai beau savoir qu’on finit toujours par partir un jour, pour un esprit lent comme le mien dans « les choses de la vie », cette réalité s’impose à présent, implacable. La fin de ma mission auprès de vous a des allures de « petite mort« , même si bien heureusement, une nouvelle vie m’attend, après Lomé.
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Je ne vous parlerai pas de l’état du monde. Vous le connaissez. Vous constatez comme moi que l’Humanité se cherche un sens. A la fois elle s’étend, se dilate, croît et en même temps, par un mouvement contraire dont elle a le secret, régresse, se combat elle- même, porte gravement atteinte, à son berceau, la Terre. Tout ou presque peut être interprété à cette aune, par une oscillation contradictoire qu’on voudrait arrêter, à un point d’équilibre, sans assurance d’y parvenir. L’humain a cette caractéristique étrange d’être porté vers l’amour, la vie, la construction et la solidarité; et avec une égale puissance, vers le conflit, la mort, la destruction et l’égoïsme. Nous sommes profondément concernés par cette ambivalence, dans notre modernité.
A titre d’exemple, je pourrais commenter l’actualité de la diplomatie climatique, mais je risquerais de froisser mon cher ami David Gilmour, ambassadeur des Etats-Unis, dont le Président fut aujourd’hui même, à Paris, l’hôte d’honneur de notre défilé militaire aux Champs Elysées.
Je préfère – par une commode facilité – évoquer le « Brexit » pour illustrer l’ambivalence des temps nouveaux, puisque mon homologue britannique réside à Accra. On voit bien que le referendum au Royaume-Uni a créé un « choc » pour l’Union européenne. Un Etat-membre important, une vieille et grande Nation, qui partage tant avec ce continent et lui a tellement apporté, a choisi de quitter la Maison commune. C’est bien sûr une mauvaise nouvelle, en même temps qu’un précédent redoutable. Mais cet évènement pourrait bien aussi donner lieu à une Refondation de l’Union européenne, à condition de pouvoir répondre à quelques questions simples, dans un examen de conscience critique bienvenu. Pourquoi nous unir? Autour de quel projet? De quelles valeurs singulières? Pour apporter quoi, concrètement, aux citoyens des Etats-membres, dont ils auraient besoin? Pour faire quoi de plus et de mieux que les Etats? Et pour protéger qui de
quels risques? Au fond, la perte de l’un de ses membres pourrait, paradoxalement, permettre de renforcer l’Union européenne.
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
2/ Dans la sous-région, je constate un mouvement favorable à la paix, à la sécurité et au commerce. Le Sommet de Lomé, votre Sommet, a été un triple succès politique, diplomatique et juridique, avec l’adoption d’une Charte riche de potentialités pour la sécurité et la sûreté maritimes et le développement en Afrique. Le G5 Sahel vient de se doter d’une force militaire organique, capable de répondre fermement, avec le dispositif français, au défi terroriste. L’Union africaine pose les bases d’une zone de libre-échange continentale, épaulée par les organisations régionales, à commencer par la CEDEAO, dont votre Président assure la direction pour un an. Il ne s’agit de nier ni l’ampleur, ni l’acuité des problèmes et des défis, dans cette région du monde. Mais je crois discerner – dans ces évolutions portées par les dirigeants de tous nos pays – des facteurs d’optimisme : l’optimisme de la volonté. Oui, l’Afrique s’organise. Elle se dote de structures pérennes, de procédures, de règles communes, de moyens lui permettant de s’affirmer, à son rythme, comme une actrice des relations internationales.
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
3/ La France, vous le voyez, vit une période de grandes mutations. Elle se transforme, sans se renier. Le Président de la République a fixé un cap exigeant, exprimé une vision et affiché des objectifs ambitieux, pour ce quinquennat, clairement placé sous le signe du renouveau. Vous aurez observé qu’il a marqué très vite son lien avec l’Afrique, se rendant à deux reprises au Mali, quelques semaines seulement après avoir pris ses fonctions. Ce choix parle de lui-même. La France demeure fidèle à sa vocation africaine. Elle restera solidaire de ce continent, avec lequel elle a partie liée.
Nous allons, tout à l’heure, entendre nos deux hymnes, dont la « Marseillaise« . C’est le chant patriotique de la Révolution française. C’était le chant de guerre de l’armée du Rhin, où son compositeur, le Capitaine Claude-Joseph Rouget de Lisle, était affecté dans un bataillon appelé « les enfants de la Patrie« . Cependant, la « Marseillaise » n’est pas qu’un chant guerrier. Elle n’est ni un frein à l’entente des peuples, ni aux alliances que la France cultive dans le monde. Elle a été écrite pour le peuple de France, pour l’encourager à se battre pour un idéal de Vie, pour les valeurs de la République naissante et pour la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. En réalité, la Marseillaise chante le droit de pouvoir choisir son destin.
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs, Les relations franco-togolaises ont connu, depuis l’an passé, de nouveaux développements qui me réjouissent, comme Ambassadeur. Après sept longues années sans visite ministérielle française au Togo, depuis 2009, pas moins de 4 visites de haut niveau, trois visites ministérielles, une visite de Premier ministre, ont eu lieu en 2016. 2016 aura donc été – j’oserai la formule – un grand millésime. Au bénéfice de la facilité Elargie de Crédit (FEC) conclue avec le Fonds Monétaire International, le 5 mai dernier, l’Agence Française de développement va poursuivre sa montée en puissance, aux côtés des forces vives de ce pays. Elle va intensifier ses interventions notamment dans les secteurs de l’énergie, de l’éducation et de l’eau, en décuplant, progressivement, ses engagements.
Je souhaite que mon successeur, Marc VIZY -auquel vous réserverez, je le sais, un accueil digne de vos traditions- puisse inscrire sa mission dans cette dynamique nouvelle. Je ne doute pas un instant qu’il s’emploiera à maintenir cette trajectoire, sur une orbite toujours plus haute.
Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs, Même s’il y a eu aussi des heurts, des tensions, des colères parfois, le Togo connait, depuis un an, plusieurs développements convergents autour d’un Cap que j’appellerais « le Cap des Bonnes Espérances« . Quelles sont-elles, ces espérances?
– Il y a une espérance qui correspond à une attente historique: celle de réformes politiques et constitutionnelles. Elle pourrait recevoir, dans un temps pas si lointain, des réponses, par la conjonction de deux processus distincts, mais partiellement liés. Il y a, d’une part, les travaux en cours de la Commission de réflexion sur les réformes, mise en place en début d’année, qui écoute, reçoit, réfléchit et travaille à une synthèse tenant pleinement compte de l’histoire et des sensibilités. Et puis il y a eu, tout récemment, le rapprochement de deux groupes de partis préexistants, issus de l’opposition, qui ont décidé d’associer les talents et les énergies, pour mieux contribuer au débat public. Par idéalisme, par raison, par humanisme, je me dis que ces mouvements hétérogènes et parallèles, qui concernent cependant tous deux l’espace public, vont peut-être ouvrir la porte à un dialogue respectueux des différences, mais tourné vers l’avenir commun.
– Il y a une espérance dans l’administration du pays : la décentralisation, adossée à des élections locales. Les perspectives, en la matière, deviennent de plus en plus concrètes et positives. L’année qui s’annonce sera sans doute décisive, à cet égard.
– Il y a une grande espérance de prospérité partagée. Les moteurs de la « première phase » de croissance – les infrastructures – sont bien en place. Ils conditionnent l’attractivité du pays, sa modernisation, ses bases lourdes. Mais ces moteurs de la « première phase » ne suffisent pas. Ils ne sont pas encore assez productifs, pas assez redistributifs, pas assez créateurs de revenus pour tous. C’est donc une « deuxième phase » de croissance qu’il faut aller chercher, avec de nouveaux moteurs. Peut-être dans les secteurs promis à un grand développement, tels l’agriculture, l’énergie, l’eau, les télécommunications… Ces secteurs peuvent accroître la croissance potentielle, avec à la clé, des effets verticaux et horizontaux de diffusion de la valeur ajoutée. Toute la population, où qu’elle se trouve, pourrait finalement en bénéficier. C’est tout l’enjeu d’une croissance inclusive, en termes de développement humain, d’équilibre des territoires, de cohésion nationale.
Cette deuxième phase se prépare, avec l’appui de la communauté internationale.
– Il y a une espérance de Réconciliation, dans le désir, ardent – je l’ai bien senti au cours de ma mission- de définitivement tourner la page des souffrances passées, des conflits fratricides. Cette Réconciliation est en marche, elle progresse, même si certains la jugent encore partielle et trop lente à se concrétiser.
– Il y a, enfin, une espérance sociale, à la mesure de la volonté de votre Président, qui a tenu à orienter son mandat actuel dans cette direction. A vrai dire, l’action sociale, les politiques sociales, sont très connectées à la croissance économique globale. Mais elles dépendent aussi de politiques plus volontaristes, plus ciblées. Pour la santé, l’éducation, les services d’utilité collective, la marge de progrès est encore importante. Il faudra beaucoup de détermination, beaucoup de persévérance et d’attention aux plus fragiles, pour réussir à relever ce défi central.
Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs, Pour terminer, je vais vous dire quelque chose qui n’a pas souvent été dit par un Ambassadeur en fin de mission. En la matière, j’assume totalement ma singularité. Je voudrais vous livrer une conviction, un espoir et une confidence.
Ma conviction – largement partagée – est que l’Afrique est un continent porteur pour toute l’Humanité. Par une ellipse temporelle remarquable, elle fut le continent de nos origines humaines. Elle devient, en maîtrisant peu à peu son destin – non sans errements et hésitations – un continent du futur. Elle est au rendez-vous du nombre, avec une poussée démographique exceptionnelle, reflet des forces du vivant. Elle est au rendez-vous des grands espaces physiques, avec sa masse terrestre et maritime. Elle est au rendez-vous des richesses promises, avec ses ressources naturelles, son potentiel agraire, l’urbanisation, l’essor des transports. Elle est peut-être, enfin, un continent de la sagesse, celui qui peut tirer les leçons des erreurs ou des échecs des autres continents, en allant à l’essentiel : des solidarités séculaires ; un respect instinctif de la Terre qui nous nourrit ; la quête directe d’une croissance pauvre en carbone; l’attachement à garder son âme dans un monde globalisé.
Mon espoir, pour le Togo, est qu’il poursuive sa longue marche vers l’unité, l’apaisement des tensions, la Réconciliation, l’inclusion de toutes et tous, y compris et surtout les plus humbles, dans un projet commun. J’espère que votre pays, si accueillant et si chaleureux, fera sien le titre d’un dessin d’Oscar Dominguez, peintre canarien. Il réalisa en 1938 une œuvre qui a inspiré André Breton et qui s’intitule « le souvenir de l’avenir » (« el recuerdo del porvenir« ). Oui, je souhaite à votre beau pays de réussir son avenir, de réaliser une synthèse où tout le monde trouve sa place, en transcendant les défiances du passé.
Ma confidence ne vous surprendra pas. Autant le dire sans détour, j’ai aimé ce pays, le vôtre. Il aura été bien plus qu’une mission diplomatique, trop courte à mon goût. Il aura été pour moi, sous l’effet d’une alchimie mystérieuse et fatidique, une terre de renaissance, où j’aurai grandi intérieurement, où je me serai déployé, où j’aurai vécu une partie de mon mythe personnel. Comment vous dire ma gratitude, vous que j’oserai appeler, pour une fois – la première et la dernière dans mes fonctions – mes frères et mes sœurs, pour ce que vous m’aurez permis d’être, de devenir et finalement, de vivre?
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Je quitterai Lomé dans quelques jours avec des souvenirs, des images, des sensations à poignées. Elles me font penser à cette belle exhortation d’un Père de l’Eglise algérien, Saint Augustin d’Hippone, qui disait: « Fleuries là où tu es semé« .
Je laisse donc ici un morceau de mon âme, pour toujours. J’emporte avec moi un peu de cette terre rouge, de votre humanité, de votre joie de vivre.
Vive le Togo !
Vive la France !
Vive l’Amitié et la Coopération entre nos deux pays !
Je vous remercie. /.