près Amani Way (“Chemin de la paix”) paru en 2019, le chanteur-guitariste comorien poursuit sa recherche identitaire avec Zangoma. Un nouvel album qui cèle les fondations du rock Zangoma, fusion de rythmes ternaires des “îles de la lune” et binaires occidentaux. Un socle enrichi par d’autres sonorités propres à l’océan Indien comme le twarab ou le maloya. Une esthétique insulaire plurielle porteuse de textes conscients : cicatrices du colonialisme, crise sociale à Mayotte, changement climatique, l’exil…Rencontre avec l’artiste très attaché à ses racines.
Vous signez un troisième album intitulé Zangoma. Ce titre nous renvoie au tambour traditionnel des Comores appelé le ngoma utilisé dans les rythmes de votre archipel. Pourquoi cette référence ?
La richesse rythmique donc musicale que nous avons aux Comores est très métissée. C’est une chance, mais aussi un inconvénient, car il manquait une identité forte et claire à l’instar du zouk ou du maloya bien identifié en Guadeloupe et à la Réunion. Quand on me demandait de définir mon style qui est très hybride, je n’avais pas de terminologie, mais plutôt une explication. C’était un peu comme si on demandait à un enfant comment il s’appelle et qu’il racontait toute sa lignée familiale. Le Zangoma est né de ce constat avec une nouvelle identité, affichée et assumée. Un mot générique pour les artistes comoriens qui puisent dans la tradition en la mélangeant avec leurs propres influences.
Outre cette base rythmique, vos influences sont le twarab de Zanzibar, le mgodro des Comores le maloya de la Réunion. Comment avez-vous travaillé pour imbriquer ces esthétiques océano-indiennes ?
À mon sens, la musique, c’est comme des mathématiques ! Les chiffres pairs peuvent s’additionner avec les chiffres impairs et ainsi de suite. J’écoute des styels très différents styles qui m’imprègnent dans mon for intérieur. Une fois qu’il se dégage quelque chose, le calcule peut commencer.
Vos textes sont à la fois poétiques et politiques. Exemple : le titre Ndroso qui aborde l’indépendance des Comores en 1975 émaillée de coups d’états. Ce sujet vous tient à cœur presque cinquante ans après ?
Oui malheureusement et aussi par obligation personnelle. Quand on est malade, on va voir le médecin et parfois le psy’. C’est une façon peut être inconsciente de guérir ou soigner les douleurs, les Ndroso en shi komori, la langue parlée dans notre archipel des Comores. Il y a un demi-siècle je n’étais pas né ! Ça sous-entend que je porte ces douleurs depuis quarante-cinq en vivant directement et indirectement aux Comores. Toute la population souffre en silence tous les jours depuis ce temps et aujourd’hui de plus en plus. La vie d’une très grande partie des Comoriens tourne en rond depuis l’indépendance. Les régimes qui se succèdent font tout pour maintenir cette « vie » puisque ce sont quasiment les mêmes qui gouvernent depuis cinquante ans !
Autre titre conscient Shaya na Mbere dont le sujet est la division entre Mayotte et les Comores. Il y a une crise sociale sans précédent aggravée par le projet de loi du droit du sol. Pensez-vous qu’il peut y avoir une issue favorable à cette situation qui ne fait que diviser les populations ?
L’idée profonde de cette chanson est dire à tous les Comoriens des quatre îles que nous pouvons être frères et sœurs quel que soit le choix politique des uns et des autres. On peut toujours changer de nationalité mais jamais ses origines. La politique nous sépare administrativement mais jamais nos racines et ce que l’on est. J’ai choisi un bout d’une chanson traditionnelle pour illustrer et recontextualiser ce texte. Shaya na Mbere veut dire le « Doigt et la Bague ». Paradoxalement c’est à Mayotte que la culture comorienne est beaucoup plus préservée que sur les autres iles. Le droit du sol proposé par le gouvernement français n’est pas une solution pour répondre aux attentes des Mahorais. Les Mahorais veulent la sécurité et ils ont tout à fait raison. Pour trouver une issue favorable, il faudrait que les populations mahoraises et celles des autres îles puissent se réunir et se regarder dans les yeux sans haine en expliquant le pourquoi de cette séparation. Aujourd’hui l’art reste le seul outil capable d’oser dire les choses.
La chanson Locaterre aborde le déchirement de l’exil et la quête d’ancrage. Elle vous ressemble vous qui faite désormais parti de la diaspora comorienne ?
C’est une chanson miroir à quelque chose prêt. Quand j’ai commencé à l’écrire : « j’ai prié Dieu pour être de ceux qui partent vers là où l’on plante les rêves ». Je me suis mis dans la peau de ce personnage car ce n’est pas du tout mon cas. Au fur et à mesure de l’écriture, je me suis retrouvé à jouer mon propre rôle. Quand on vit dans un pays et que l’on rêve d’un autre, on imagine ce que l’on pourrait avoir ailleurs. L’exil est un « exercice » intéressant pour aller voir loin, espérer, trouver. Mais perdre aussi des choses… Quand tu retournes chez toi, tu es en décalage avec les autres. Tu as l’impression d’être un étranger mais tu l’es également ou tu t’es installé. Donc, ce « locaterre » puisque nous ne sommes pas propriétaire de cette planète terre, espère qu’un jour le Monde sera un nid douillet pour tous les Hommes.
ous chantez dans différentes langues : swahili, malgache, shingazidja, la langue parlée en Grande Comores… C’est une manière de toucher plus de monde dans la zone océan Indien ?
C’est un choix assumé artistique et symbolique. Nous avons tous les mêmes origines quelques soient nos petites différences. Si un grand comorien apprend un mot en shi maore ou l’inverse, cela permettra de nous rapprocher quelque part.Avec mes parents, mes frères et sœurs, on parle naturellement le shi ndzuani et shi ngazidja (Anjouan et Grande Comores) en même temps dans une conversation.J’ai gardé ce jeu de switch dans mon écriture. A l’occasion de mes voyages, je ne m’interdis pas aussi de glisser des mots en swahili, cette langue qui est aussi à l’origine de nos dialectes comoriens, en malgache, en anglais et en français.
Vous avez convié pas mal d’invité(e)s comme Baco, le rappeur comorien Cheikh MC ou encore la poétesse mauricienne Lisa Ducasse. Que vous ont apporté ces collaborations ?
Sur ce titre Nduzangu, Lisa Ducasse a mis une touche féminine avec sa plume et le résultat est merveilleux. Cheikh MC est un des percusseurs du rap qui puise dans les musiques traditionnelles comoriennes. C’est ce qui m’intéresse en lui. Baco a naturellement sa place sur cet album puisque que c’est le créateur du concept Zangoma.
Dans quel environnement musical avez-vous grandi à Moroni ?
J’ai commencé à chanter l’école coranique. On allait quelquefois jouer dans les villages à l’occasion du mawlid, le mois de naissance du prophète Mohammed. J’en garde un bon souvenir. A la maison on écoutait beaucoup Radio Comores qui diffusait des musiques traditionnelles mais aussi modernes, celles années 80-90. Il y avait aussi Oum Kalsoum, la rumba congolaise avec Franco, beaucoup de musiques malgaches et réunionnaises. Mon père avait des cassettes de jazz, de blues et mes grands frères et sœurs me faisaient écouter Bob Marley, Kassav’, Bobby McFerrin, la variété française, la pop américaine et j’en passe…
Vous avez effectué une belle tournée à l’internationale l’année dernière au Canada, en Inde, au Maroc. Comment réagissent ces différents publics à votre musique ?
La magie de la musique nous accompagne partout où nous allons. Qu’il soit canadien, indien, marocain ou autre, le public réagit toujours de façon positive. Souvent nous avons les mêmes réactions sur les mêmes chansons au même endroit. C’est toujours surprenant, agréable et encourageant de savoir que l’on vient d’un pays que les gens ne connaissent pas, qu’ils ne comprennent pas la langue, qu’ils ne sont pas familiers avec les rythmes que nous jouons. Et pourtant, ils ressentent la même la vibration. En Inde dernièrement au Ziro Festival, les organisateurs nous ont dit « à un moment vous avez joué un rythme qui ressemble à un rythme traditionnel d’Inde, l’avez-vous fait exprès ? ». C’est vrai que le public à ce moment-là était particulièrement en phase avec nous. En fait ce balancement vient du shigoma, un rythme traditionnel de chez moi ! Si je peux apporter un bout des Comores à l’autre bout du monde j’en suis satisfait car l’important c’est le partage.
Zangoma CD, vinyles (Soulbeats Music/Alter K/Bigwax distribution/Disques Nuits d’Afrique/ RFI Talent)