Grandie entre la France et le Maroc, la trentenaire Hanaa Ouassim tire ses influences aussi bien des orchestres de percussions traditionnelles de son pays, que de l’électro. En résulte un beau premier album, un voyage aquatique en clair-obscur, où s’emmêlent toutes ses inspirations : La vie de star.
Aux dernières Transmusicales de Rennes, en décembre dernier, elle assurait, à l’Aire Libre, la première partie de la comète Yamê, et plongeait les spectateurs dans son odyssée aquatique douce-amère, aux teintes bleutées. Et nous suivions ses pas dans ses échappées belles r’n’b, chantées en darija, cet arabe dialectal marocain, avec pour exosquelette, un Auto-Tuneomniprésent, utilisé avec élégance. Et nous accompagnions ses escapades, ses délires maritimes, ses folies douces pour échapper à ses peines de cœur : un univers où « elle ne serait pas solvable ».
Le lendemain, en salle de presse, Hanaa Ouassim distribuait des stickers à paillettes et des clés USB avec les pistes de son dernier disque, sorti en février, sobrement intitulé La vie de star : un pied-de-nez, une irrévérence… Car, dans le civil, l’artiste, cheveux noués en un chignon au sommet de son crâne, n’a rien d’une diva : plutôt une jeune femme de 33 ans au naturel, tout à la fois spontanée et volubile, joyeuse et inquiète, qui parle avec les mains, digresse à l’envi au fil de ses phrases qui s’échafaudent avec soin, cite des milliers de références littéraires et musicales, éclate soudain de rire, joue avec les rayons d’un soleil matinal qui s’amuse sur ses joues.
Entre Maroc et Champagne
Il y a chez Hanaa Ouassim un reste d’enfance. Un reste de cette enfance passée en funambule sur le fil tendu entre deux mondes. D’un côté, le Maroc, Settat, sa ville de naissance, chef-lieu de la musique marocaine traditionnelle, baignée de lumières, à l’ombre des orangers.
De l’autre, la Champagne-Ardenne, où sa famille émigre dans les années 1970 pour travailler dans le secteur du champagne, à l’usine Saint-Gobain. « J’ai passé mon enfance dans cet aller-retour : un terreau poétique propice à la transformation de mon logiciel d’âme, calibré pour la vie double, le voyage, le trajet, en ce qu’il recèle une grande solitude », dit-elle.
Au cœur de cette enfance atypique, la musique s’immisce. Ce seront les percussions marocaines, omniprésentes, qui percutent son diaphragme d’enfant et lui vaudront ce proverbe : « La musique doit être réalisée par un grand ensemble, et venir troubler les petits enfants. Je garde ça en ligne de mire dans mes compositions… » Côté Champagne-Ardenne, la petite pousse au milieu des rythmes métissés de la Zup d’Épernay – rap, raï, mbalax… – et fréquente, grâce à sa mère, salariée dans un centre associatif, la salle de spectacle locale, le Salmanazar. « Elle récupérait des places gratuites, raconte-t-elle. On n’avait pas les plus belles baskets de l’école, mais on assistait à toutes les représentations – Casse-Noisette, l’Orchestre National de Barbès… J’avais toujours cette impression de voir danser les mondes… »
Hanaa, elle-même, très tôt, fait danser les foules et met les mains à la pâte musicale, en jouant des percussions dans les mariages. « Selon la science ayurvédique, je suis d’énergie Vata : un gros débit de parole, énormément d’énergie, peu de sommeil… Cela, les femmes de l’orchestre l’avaient bien compris avant de me recruter », sourit-elle.
Et pour elle, ce fut la meilleure des écoles : « Les cérémonies durent six heures avec trois mêmes rythmes. Pour tenir, je mettais des pansements. Une fois, une aînée m’a balancé une chaussure dans la figure parce que je ralentissais la cadence, décrit-elle. Il y a eu, pour moi, dans cette pratique des percussions un cheminement initiatique : l’apprentissage de l’humilité, de l’endurance, de la persévérance, mais aussi de l’écoute et de la concentration. J’y ai aussi appris le silence… et les vertus de l’inconfort. »
Rubik’s cubes mentaux
En marge, l’adolescente découvre dans les années 2000, Emule et Kazaa, les trésors du peer-to-peer, et se met à tout binger en vrac, avec un appétit d’ogre : du mezoued tunisien, de la gasba chaoui d’Algérie, de l’aïta du Maroc, du fado, de la morna, du flamenco, du mad rock, du jersey club des USA, du dancehall, du rock garage, du gabber hollandais… Et se fait parfois « exfiltrer de la cité » par son « Tonton Rachid » pour partir en soirées.
La libération créatrice arrive ce jour où elle dispose enfin de sa propre chambre dans un pavillon. Sur les logiciels Ableton et Cubase, grâce aux tutoriels, elle fabrique ses univers, mixe toutes ses influences dans des fabrications finement ciselées : « Mes petits rubik’s cubes mentaux où s’agrègent toutes mes constellations, tous mes rythmes, mes inspirations – électro, percussions traditionnelles, marocaines, chansons… », résume-t-elle.
Installée désormais dans la capitale française, Hanaa se forge toute une galaxie et collabore avec (ou assure les premières parties de…) Léonie Pernet, Acid Arab, Souad Massi, Flavien Berger, Zaho de Sagazan : « des amitiés spontanées, des croisements joyeux… »
À l’heure de la sortie de son premier disque, La vie de star, ce beau voyage, signé dans la prestigieuse écurie Pan European Recording (Flavien Berger, Poni Hoax…) elle semble accomplir son chemin en musique, une route non linéaire, mais pavée de bonnes étoiles. Pas forcément une vie de star… Mais la « vie d’Hanaa ».
Haana Ouassim La vie de star (Pan European Recording) 2024
Par : Anne-Laure Lemancel