Quelle audace ! Depuis que le festival Banlieues Bleues rythme le début du printemps dans le département de Seine-Saint-Denis, en région parisienne, l’intention de nous ouvrir l’esprit et les oreilles est restée intacte. Si l’affiche de cette 40e édition fait un pied de nez à cette indéfectible volonté de défricher notre paysage sonore en célébrant Miriam Makeba et Nina Simone, le programme 2023 maintient l’exigence d’une approche multiculturelle novatrice assumée. Toutefois, un anniversaire invite irrémédiablement à la nostalgie…
On ne le dira jamais assez : la musique est un art vivant qui se célèbre sur scène devant un public idéalement enthousiaste ! Les milliers de concerts organisés par les équipes de Banlieues Bleues depuis le début des années 80 ont laissé des traces dans notre mémoire collective. Certaines prestations sont entrées dans la légende. Même ceux qui n’ont pas vécu ces moments d’émotion collective en ont entendu parler.
Il y eut, certes, des instants de grâce mais aussi quelques rendez-vous manqués. Le concert de Chuck Berry, le 09 mars 1990 à Saint-Denis, ne fut certainement pas le plus prodigieux de sa carrière. Soutenu par un orchestre approximatif, le pionnier du rock ne parvint jamais à soulever les foules. 15 jours plus tard, la ferveur des spectateurs, venus acclamer à Sevran le soulman et prêcheur Al Green, contrastait sérieusement. C’est ainsi que vit un festival. C’est un pari quotidien. Il faut accepter les revers et continuer à surprendre, à se renouveler, sans perdre son âme.
Quatre décennies palpitantes
Banlieues Bleues est un festival intrépide qui prend des chemins de traverse pour susciter la curiosité sans jamais négliger le patrimoine. Les premiers abonnés ont pu se délecter du souffle encore vigoureux du trompettiste Miles Davis lors d’un concert épique de trois heures, le 19 février 1988 ; ils ont entendu les premières prouesses vocales en France de la chanteuse néo-orléanaise Marva Wright, le 26 mars 1993 à Drancy ; ils se sont émus en écoutant la voix délicieusement rebelle de la lionne Abbey Lincoln, le 26 février 1997 au Blanc-Mesnil.
Il est impossible de restituer les vibrations de ces quatre décennies palpitantes qui ont accompagné notre découverte du jazz, qui ont souvent aiguisé notre appétit pour des musiques connexes. L’Afrique y a évidemment trouvé une place de choix tant ce continent insuffle des projets toujours captivants. Ali Farka Toure, Oumou Sangaré, Salif Keita, Manu Dibango, Femi Kuti, Youssou N’Dour, et tant d’autres, ont donné de l’éclat à ce festival altruiste et généreux.
Car oui, la programmation de Banlieues Bleues veut unir artistes et festivaliers dans un même élan de création spontanée. Un amateur de jazz doit pouvoir assister et, indirectement, participer par ses applaudissements à l’ébauche d’un projet encore en jachère. Les scènes de Banlieues Bleues peuvent être des laboratoires à ciel ouvert où des improvisateurs tentent des expériences in vivo avec le secret espoir de toucher le cœur des spectateurs. Nous sommes donc aussi acteurs de leur développement artistique.
L’inventivité musicale sous les projecteurs
Comment ne pas se féliciter d’avoir pu épouser, au tournant des années 2000, les efforts d’instrumentistes comme Olu Dara, Zim Ngqawana, William Parker, James Carter, de nous faire entrer dans leur monde mélodieusement personnel ? Au fil des années, le militantisme des équipes de Banlieues Bleues pour nous guider vers d’autres sources musicales s’est affirmé. Cet activisme réjouissant est l’œuvre d’un collectif conduit aujourd’hui par le téméraire Xavier Lemettre, agitateur éclairé de l’inventivité musicale. Son flair a su mettre en relief des œuvres conceptuelles exigeantes qui méritaient les lumières des projecteurs et l’écoute attentive de spectateurs désormais complices de ces échanges artistiques inédits qu’ils prennent plaisir à acclamer.
Le menu gastronomique de ce banquet 2023 traduit sans conteste cette propension à regarder vers l’avenir et à encourager les jeunes pousses dont la valeur se révèlera dans quelques années. On pourra alors se gargariser en affirmant avoir vu la naissance de tel ou tel virtuose. C’est la raison pour laquelle les noms qui suivent doivent retenir votre attention : Ben Lamar Gay, Klein, Farida Amadou, Pink Siifu, Wilfried Luzele Vuvu, Arnaud Dolmen… Ils sont peut-être les héros de demain. Et ce ne sont là que quelques exemples de la 40e outrageusement périlleuse édition de Banlieues Bleues.
Laissez-vous séduire sans idées préconçues, sans préjugés, sans timidité, par ses propositions éclectiques. Rassurez-vous, les plus frileux d’entre vous pourront retrouver la chaleur d’artistes confirmés comme Ray Lema, Hamid Drake ou Marc Ribot, mais ne vous fiez pas aux apparences, ces personnalités-là sont aussi des trublions de la note bleue et pourraient bien ébranler vos certitudes. Après tout, Banlieues Bleues est un festival jubilatoirement atypique et entend bien le rester encore 40 ans !
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Par : Joe Farmer