Pour son 6e disque, Oyé Maloya, le leader du groupe réunionnais Lindigo, Olivier Araste, s’entoure de sa famille. En résulte un album plein d’amour, plus joufflu, plus collectif, qui célèbre toujours, avec gourmandise et poésie, le maloya et leur petit coin de terre, Paniandy.
Un nouveau disque du crew Lindigo, c’est toujours une bourrasque volcanique d’eau salée, un uppercut de tendresse, un tourbillon d’épices créoles en provenance de la Réunion, qui vous envahit en raz de marée. Mais sur ce sixième chapitre, Oyé Maloya, en forme d’invocation à la bande-son de leur vie, un album patiemment mijoté depuis la sortie de leur dernier opus Komsa Gayar en 2017, le son a évolué – une couleur plus joufflue, plus chorale, plus collective… En équipe ! En témoigne le livret richement fourni de l’album, qui crédite près de vingt personnes pour la seule musique ! Comme si le socle du groupe, le solide et solaire Olivier Araste avait, cette fois, laissé de l’espace à d’autres précieux membres d’équipage.
Ainsi, aux côtés de son nom, aux paroles et à la composition, apparaissent celui de son épouse Lauriane Marceline, et aussi ceux de Joanès, 19 ans, et Xavier, 16 ans, leurs enfants. « C’est rare que je donne de la place à d’autres idées que les miennes, confesse-t-il. Mais là, c’est le sang ! Et puis j’adore, par exemple, le coup de patte de Joanès sur le roulèr. Dans la pure tradition familiale, mais avec sa signature… »
Transmettre son «zarlor »
À Paniandy, leur village, dans l’est de l’île, dans la « kour de la kaz », les marmailles grandissent au son du maloya et s’imprègnent de tous les rythmes comme des éponges. Ici, dans ce lieu préservé, Olivier le père cultive sa musique, comme il ferait pousser ses plantes aromatiques, comme il soigne ses tisanes, comme il cuisine ses carrys au feu de bois…
Le maloya se mêle au quotidien et le transmettre, c’est partager son mode de vie, ses valeurs, son trésor, son « zarlor » en créole. «Je suis tranquille si mes enfants héritent de ça. Je suis prêt à céder ma sagaie (la lance malgache, ndlr) à mes fils., métaphorise-t-il. Même si, pour l’instant, bien qu’ils connaissent le code, c’est toujours moi qui tiens les rênes de la charrette bœuf… »
C’est durant le confinement qu’Olivier s’en aperçoit : le terrain préparé depuis l’enfance de Joanès et Xavier, footballeurs en herbe, donne de jolies fleurs, et les graines ont germé. « On jouait en famille des sessions live à la maison pour des médias… Et je me suis rendu compte qu’ils étaient prêts, qu’ils groovaient sur les instruments. Xavier joue de la batterie, Joanès des synthés… Mais ils savent parfaitement ce qu’est le tambour », s’enthousiasme-t-il.
Ce qui réjouit encore davantage le chef de tribu ? Que ses fils perpétuent la « recette la kaz », la « recette de la maison ». « Lindigo a son style, affirme-t-il. Tout le monde fait son carry, mais chez nous, on a la pincée de sel, les deux grains de piment, le temps de cuisson, le coup de cuillère… qui font la différence ». Une recette déjà adoptée par tous les membres historiques, les fidèles Aldo Araste son frère, Pascal Mariama Moutin, Jimmy Itema… L’esprit du clan !
Alors, à l’heure de démarrer un nouveau disque, autour des fourneaux, la famille se rassemble dans le studio à domicile au nom gourmand, Kouvértir Marmit. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, sa bûche de bois, ses ingrédients, donne son avis, entre deux sessions de foot, entre deux cours à l’école, et l’album se tisse petit à petit. «Il a été forgé in situ, dans le garage, entre les volailles et le chien. 100% naturel, sans artifice… », explique Olivier.
Des copains et un chœur féminin
Ce « fait maison », avec une partie dans le mythique studio Oasis de Saint-Denis, n’empêche pas la venue d’invités extérieurs. À la co-réalisation, par exemple, le chanteur souhaitait un œil neuf, non rôdé au maloya, mais d’une exigence pointilleuse.
Son choix s’est porté sur son ami Gino Bombrini, du groupe sud-africain et néerlandais Skip and Die, débarqué à Paniandy pendant trois mois, avec une valise remplie à ras bord d’engins d’enregistrement, d’instruments de musique, «sans aucun linge », rigole Olivier.
Et puis, dans la kour de la kaz, sur les pistes du disque, ont aussi été conviés les «dalons », les copains, les complices de longue date ou d’autres, fraîchement arrivés : Fixi l’accordéon, frère spirituel d’Olivier, le chanteur de sega Toulou… Sur le titre d’ouverture, en feu d’artifice polyrythmique, les tambours maloya s’emmêlent aussi à ceux, sacrés, des frères cubains de Los Muñequitos de Matanza. « En tant qu’enfants ‘zilois’, créoles, nous partageons l’histoire de l’esclavage, le côté spirituel… Et notre morceau d’ouverture, Oyé Maloya (« Oyé Rumba ! » marchait aussi !) parle de cela : de nos ancêtres… », dit-il.
Enfin, dans la musique foisonnante de Lindigo, en général très musclée, très vitaminée, très « masculine », à coup de roulèr, de kayamb, de claquements de main et de boîtes aux lettres mises au rebut et rénovées, leur instrument signature, s’invite pour la première fois un chœur de femmes, un chœur de «matantes » (Sophie Natiembe, Roukia Adam…) savamment arrangé par Lauriane Marceline. Et aussi les neveux : Isaac, Noah…
Le goût de la maison
Alors, de quoi est-il question dans ce nouveau Lindigo grand cru ? « Kosa néna dann marmit là don »* ? Avec sa poésie créole simple et savoureuse, le disque parle de spiritualité, d’ancêtres (Oyé Maloya), de traditions malgaches (Tiako, Hitsangana…), de tambours malbars (Tanbou Toulé), du pouvoir fédérateur du maloya (Nou lé kontan, Kadansé, Kartié maloya, Sa pou twé…), de sincérité (Saken), de gourmandise infinie (Ti Bonbon, Manzé lontan…).
Surtout, il parle de sa « kaz », de sa maison, ce lieu « où l’on mange, où l’on vit, où l’on pleure, où l’on honore ses ancêtres lors des servis kabaré… » Car c’est ici, chez Olivier, à Paniandy que tout commence et que tout se passe. C’est depuis ce petit coin de terre, jamais quitté, qu’il s’adresse au reste du monde et qu’il invite la planète dans sa danse.
Et le voici ému, presque désarmé : « J’aime mon quartier, Paniandy, avec ses bonnes vibes et aussi ses mauvaises… J’aime ses champs de canne, les copains, la famille, les petits gramouns croisés qui portent toujours une anecdote, un débat, les histoires du village, les gens qui chassent les guêpes, ceux qui cuisinent le tang ou le carry coq… Bref cet univers, mon univers, m’anime fort… »
Et avec son maloya « qui sent le boucané, le rhum, la canne et la sueur », Olivier et sa bande chantent cet esprit, cette essence, cette identité, à la façon dont il conclut son disque, en un souffle teinté de douceur et de tendresse : « Sa la Rényon, sa ! ». C’est ça, La Réunion !
Lindigo Oyé Maloya (Helico) 2024
*Qu’y a-t-il dans la marmite ? (une citation issue de leur chanson bien connue, Kosa néna…)
Par : Anne-Laure Lemancel