C’est un spectacle transversal qui fait dialoguer l’ambient et la musique d’un griot béninois. Medicine Man Orchestra construit des ponts entre audio, vidéo, et s’inspire de la musicothérapie, les techniques de guérison par la musique. La beatmaker Alissa Sylla nous a parlé de ce projet étonnant, dont le disque a notamment été mixé par RFI Labo.
Lorsque l’on discute avec Alissa Sylla, elle revient de la première tournée africaine de son groupe. Si bien qu’au bout du fil, elle semble encore avoir la tête sur le continent. En travaillant sur Medicine Man Orchestra, la jeune musicienne a réalisé tout ce qui la rapproche de ses origines sénégalaises, mais aussi le fossé qui la sépare du continent africain. « Mon bagage musical est bien plus orienté vers l’occident. Dans le projet, j’étais plutôt dans une optique de découverte. Moi qui n’avais jamais vraiment connu l’Afrique, je ne pouvais pas me sentir légitime à me vêtir de beaucoup de choses. Quand on écoute notre disque, il y a aussi des morceaux qui n’ont pas grand-chose à voir avec de la musique africaine, et c’est ce que je voulais », dit-elle.
Né de la rencontre entre un musicien et producteur français, Mathieu Insa, et un griot béninois, Seidou Barassounon, Medicine Man Orchestra a vu le jour entre Paris, le Bénin et le Togo. C’est un projet à plusieurs facettes qui mêle musique et vidéo, et dont la bande-son fait le pont entre électro et musique africaine.
La musique planante à tendance zen est incarnée sur scène par la beatmaker Alissa Sylla, Seidou Barassounon et une percussionniste, Mélissa Hié ; elle mélange l’électro à la musique du griot béninois. L’espace commun entre ces deux mondes ? De l’ambient qui fait dialoguer les machines et les instruments traditionnels africains. Le tout marqué par les incantations et les rythmes du Béninois.
Hommage aux griots
L’objet de cet orchestre électronique est de rendre hommage aux griots, ces agents au service de la musique en Afrique. Véritables porteurs d’histoires grâce à leur chant et à leurs instruments (kora, balafon, tambours), leur fonction a quelque chose qui dépasse le strict champ musical.
« Seidou Barassounon est un individu qui représente la mémoire de son peuple. Je me rends compte que quand je crée avec lui, je ne fais pas seulement face à quelqu’un d’une trentaine d’années, mais à des centaines d’années d’histoire », observe Alissa Sylla. Le mélange musical de ce drôle d’orchestre s’est fait autour de la confrontation entre la jeune Alissa Sylla et ce griot.
Les instruments traditionnels ont été mis en résonance avec le travail d’une musicothérapeute. Il s’agit de proposer une musique répétitive autant que réparatrice, qui s’écoute autant qu’elle se médite. Flotter, nuage, sérénité… Comme leurs titres littéraux, ces morceaux traduisent bien cette idée de guérison par la musique.
Si Medicine Man Orchestra diffère de bien des projets d’électro à l’africaine, c’est parce qu’il ne cherche pas particulièrement l’authenticité ou le clin d’œil trop appuyé. Les rythmes foisonnants des musiques africaines sont bien présents, mais Alissa Sylla a tout autant travaillé « les timbres », appuie-t-elle. La présence du guitariste britannique Justin Adams (Tinariwen, Robert Plant, Rachid Taha…) est plutôt discrète.
Mixé en binaural
Si le projet est résolument touffu, son propos n’en reste pas moins simple. Il s’agit d’un dialogue entre les cultures, entre les musiques. « Dialoguez, apprenez à vous connaître, communiquez », dit Seidou Barassounon, dans le bien nommé Elevation. Le leitmotiv de ce même morceau, « Je suis, parce que nous sommes », apparaît presque comme une devise pour le projet dans son entier.
« Le mélange des musiques est d’abord passé par la discussion. Avec Seidou Barassounon, on a d’abord discuté, on a ‘amicalisé’. C’est le médiateur. Le contact avec les gens qui l’entourent est très important pour lui. Il me parlait beaucoup de son rôle de griot. Moi, je lui posais des questions sur à quel point je pouvais modifier sa voix. Au début, c’était de la discussion et du jeu », note Alissa Sylla.
Finalisé à distance entre Paris et le Bénin – Covid-19 oblige -, le disque de Medicine Man Orchestra a été mixé en son binaural par RFI Labo. Ce son en 3D est prévu pour l’écoute au casque. Sur cet aspect du travail, Alissa Sylla note qu’il s’agit d’une « écriture de l’espace » .
« Les musiques traditionnelles comme Seidou Barassounon les a vécues, sont des musiques de plein air. Ça se sent dans leur vitalité, leur dynamisme. On se rend compte qu’avec le digital, où l’on écoute la musique au casque seul dans une chambre, on a perdu cette notion d’espace et de mouvement. Avec RFI Labo, on tente d’élargir ce cadre. Il ne s’agit pas d’immerger dans un espace réel et tangible, mais d’ouvrir le champ de la stéréophonie. De faire en sorte que les gens qui écoutent ça, aient l’impression d’une reconquête de l’espace », explique-t-elle.
Après ses premiers concerts réalisés en terre africaine, Medicine Man Orchestra devrait revenir en Afrique prochainement, comme un retour aux racines.
Medicine Man Orchestra (Aribo Productions) 2021
En concert le 22 janvier 2021 à 21h (heure de Paris) en live stream sur la page Facebook de RFI Musique
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Par : Bastien Brun