Fidèle à l’esprit originel du zouglou, avec lequel il s’est imposé depuis plusieurs décennies, l’Ivoirien Soum Bill continue de proposer une version actualisée de cette musique à haute valeur revendicative. Pour partager les chansons de son récent album Impérial, il est en concert à Paris ce 14 octobre.
Jouer pour la première fois dans une salle que l’on connait déjà en tant que spectateur n’est jamais anodin, encore moins quand on y est venu applaudir des artistes dont les prestations ont laissé des souvenirs indélébiles. Pour Soum Bill, ce concert du 14 octobre au Trianon à Paris revêt donc une valeur particulière sur le plan personnel, au-delà du fait qu’il y présentera son dernier album en date, intitulé Impérial : c’est là qu’il est venu voir autant qu’écouter son compatriote reggaeman Tiken Jah Fakoly ou encore le rappeur Youssoupha.
En près de trois décennies, le quinquagénaire ivoirien a eu l’occasion de se produire à de nombreuses reprises en France – en particulier pour fêter ses 25 ans de carrière – mais il n’a jamais oublié ses tout débuts en live sur le Vieux Continent au milieu des années 1990 avec son groupe Les Salopards, l’un des porte-étendards du zouglou naissant en Côte-d’Ivoire.
Cette première date aux portes de Paris a agi comme un révélateur : “Quand on est à Abidjan, on écrit pour le public habituel et on ne mesure pas l’ampleur que peut avoir ailleurs la musique qu’on fait. Une fois dans l’avion, on a beaucoup d’appréhension, mais quand on se rend compte que, de l’autre côté de la Méditerranée, les gens connaissent nos chansons, ça donne de la force et de la confiance. Ça renforce l’artiste dans sa démarche”, assure Soum Bill. Avec un impact sur “la façon de concevoir la musique”, reconnait-il : “On était passé du stade local à mondial, donc on avait une vision plus large à chaque fois qu’on entrait en studio.”
Prendre des risques
En Afrique de l’Ouest aussi, son zouglou n’a pas mis longtemps à traverser les frontières, du Mali (première opportunité pour Les Salopards d’aller jouer hors de Côte-d’Ivoire, se souvient-il) au Cameroun en passant par la Guinée et le Burkina Faso. De quoi se constituer une base solide, dont il mesure le soutien et qu’il s’attache à entretenir pour résister au temps et aux modes. “Quand on ne se défait pas de son identité artistique et qu’on a la chance d’avoir comme moi un public dans tous ces États-là, c’est lui qui vous porte”, analyse-t-il.
Conserver sa ligne directrice ne l’a pas empêché pour autant de prendre des risques. À raison bien souvent, même si certains de ses projets ont connu un succès qui n’a pas été immédiat, comme Terre des Hommes sorti en 2002 et avec lequel il s’est au final imposé sous son nom au grand public. Pour Impérial, paru en 2022, il indique avoir eu l’intention de “faire un travail à l’envers”. Explication : “D’habitude, pour ceux de la génération zouglou à laquelle j’appartiens, on trouve nos mélodies, on compose, on écrit nos paroles. On fait tout nous-mêmes avant d’aller en studio et ensuite l’arrangeur fait des ajouts musicaux. Cette fois, j’ai demandé à un certain nombre de beatmakers dont je connaissais le travail de me proposer leur univers et, en fonction de ce que ça me renvoyait comme émotions, j’écrivais les paroles et la musique”, décrit le chanteur percussionniste devenu également producteur avec son label Avantlobe Music qui accompagne par exemple le trentenaire Lato Crespino.
Zouglou et reggae, même combat
Ici et là, sur son nouveau répertoire aux sonorités urbaines, l’influence de la musique congolaise se fait entendre. “On a tous ça en héritage !”, abonde-t-il, ajoutant être aussi “imprégné” de juju music nigériane et de highlife ghanéen. Avec Take It Easy, le reggae refait surface. En 2013, il lui avait même consacré un album entier, Escale, avec quelques instrumentistes ayant longtemps accompagné Alpha Blondy. “C’est la première musique que j’ai connue. J’en suis tombé amoureux”, confie Soum Bill, qui voit entre le zouglou et le reggae une proximité thématique : “Ce sont les mêmes causes qui sont défendues”, considère celui qui se projetait avocat ou dans le secteur humanitaire avant de lâcher ses études en terminale. Sa rencontre fortuite avec le collectif Les Garagistes, quasi-pionniers du zouglou, en sortant du lycée, a bouleversé la donne. Dans sa famille, le choix est mal passé : “Pour eux, c’était tout tracé. Tu vas à l’école, demain tu as un diplôme, tu as un salaire et tout le monde est content. Personne ne pensait que le petit serait devenu musicien et ils ont tout fait pour m’en dissuader, mais quand on est appelé à faire ce métier, qu’on le veuille ou non, ça nous rattrape.”
Impossible, pour lui, de taire cette dimension revendicative qu’il affectionne dans le reggae et qu’il veut transposer au zouglou. Au point d’en faire un motif de rupture avec Les Garagistes et, au nom de l’engagement, d’aller créer Les Salopards, dont le succès n’est pas étranger à ce ton direct. Mais l’auteur de Zambakro, son premier album solo paru sous le régime du général Gueï, n’est pas passé loin d’y laisser la vie à cette époque, enlevé par des militaires armés qui, après discussions sur le sort qu’ils allaient lui réserver, ont préféré l’épargner et l’abandonner à l’écart des regards en l’ayant au préalable dépouillé.
L’épisode laisse des traces, et pas seulement quand il croise une patrouille en uniforme. “Ça passe tellement vite et c’est tellement intense… Avant de le vivre, pour toi ça n’existe que dans les films. Le lendemain, tu as ta guitare, tu as une feuille, tu as envie d’écrire, de dénoncer ce qui s’est passé”, confie-t-il. Sur le plan artistique, Soum Bill n’a pas cédé à la tentation de l’autocensure. Tout juste concède-t-il s’être appuyé sur son expérience pour changer de stratégie : “Je ne perds pas la cible de vue mais, pour l’atteindre, dans la façon d’aborder les choses, je suis moins frontal.” Le vétéran du zouglou n’est pas prêt à déposer la plume.
Soum Bill, Impérial (AVANTLOBE MUSIC) 2023