De Tombé pour la France, à Bleu comme toi, en passant par Week-end à Rome, Duel au soleil ou encore Epaule tattoo, voici quelques-uns des tubes qui ont élevé la star Étienne Daho au rang des plus célèbres icône pop en France. Il revient ce vendredi 12 mai avec Tirer la nuit sur les étoiles. Un douzième album orchestral aux éclats mélodiques remarquables qui tresse électro-pop symphonique et influences des années 1960. Douze chansons qui donnent un aperçu du large spectre musical du crooner de 67 ans.
RFI : Comment vous définissez-vous ?
Etienne Daho : Je m’appelle Etienne Daho, je suis musicien, c’est une vocation. C’est ce que je préfère au monde, faire de la musique. Je ne sais pas si c’est une bonne définition… Je ne sais pas comment me définir, c’est la chose la plus difficile. Et vous, comment vous vous définissez ?
Je trouve que vous êtes un très grand artiste, qui se renouvelle en permanence. J’aimerais commencer par évoquer avec vous ce titre qui est à la fois magnifique et énigmatique, « Tirer la nuit sur les étoiles »…
« Tirer la nuit sur les étoiles », c’est une chanson qui est née d’un documentaire que j’ai vu sur Ava Gardner. Quand elle a rencontré Franck Sinatra et qu’ils ont eu cette liaison folle, torride et passionnelle, ils sont partis dans le désert. Ils ont bu, pas mal, et ils ont tiré au revolver sur les étoiles. Je trouvais que cette image était très belle, très cinématographique, très extrême, comme quand on rencontre quelqu’un et qu’on a envie de séduire cette personne, on fait des choses un peu folles. C’était ça l’idée.
La séduction, on dirait que c’est aussi votre vocation à travers la chanson. « Tirer la nuit sur les étoiles » est aussi un duo magnifique, le premier titre de cet album, avec Vanessa Paradis…
Vanessa, c’est quelqu’un que j’aime beaucoup, comme artiste, comme personne, j’adore sa voix. Et je lui ai posé la question pour savoir si elle voulait chanter avec moi. Elle m’a dit oui, sans avoir écouté la chanson. C’est une aventure. Et puis nos voix se mélangent très très bien. Elles forment un spectre assez large entre moi qui suis plutôt dans les graves, et elle qui a plutôt une voix de tête. Nos voix font un spectre très harmonieux, je trouve. Ça marche bien.
Quelle est la thématique générale des chansons de cet album ?
Elles parlent de la vie, tout simplement. De la vie avec ses espoirs, ses désillusions, tout ce qui nous traverse, à savoir la guerre en Ukraine, la pandémie… Tout se retrouve là-dedans, parfois à mots couverts. Ça encapsule un peu les deux ou trois dernières années de ma vie.
On sent qu’il y a l’amour dans ces chansons, mais vous évoquez surtout les émotions de l’amour plutôt que de parler de l’amour en lui-même…
C’est-à-dire que c’est un sujet tellement vaste… L’amour, c’est l’amour qu’on met dans son travail, c’est l’amour qu’on reçoit, c’est l’amour avec sa famille, c’est la relation à deux, c’est l’amitié amoureuse, ce sont les passions charnelles, ça peut être tellement de choses ! ça peut être aussi les passions platoniques. L’amour, c’est plein de choses. On ne peut pas le résumer à une relation à deux, ce n’est pas possible.
À plusieurs ?
Je n’ai pas dit à plusieurs, mais pourquoi pas. Tout est possible.
Vous êtes une star en France, quel est l’enjeu aujourd’hui pour vous, à 67 ans ?
D’abord, l’âge ne me préoccupe pas du tout. C’est vraiment quelque chose auquel je ne pense absolument pas. Je me sens même plus jeune aujourd’hui que quand j’avais 22 ans, ce qui est assez agréable. Ce n’est pas une question d’enjeu, c’est une question de vie. C’est une vocation. Faire de la musique, c’est comme respirer pour moi. L’enjeu n’est pas de vendre des disques. C’est un besoin d’exprimer quelque chose qui est en moi, parce que j’ai l’impression que je suis fabriqué pour ça, que ma tête et mon corps sont uniquement fabriqués pour recevoir des informations de l’extérieur, les transformer et en faire des chansons.
On dirait que les chansons vous empêchent de vieillir, parce que vous ne changez pas, vous avez l’air d’un jeune homme…
C’est gentil, mais c’est vrai qu’une passion, ça vous tient. C’est vrai que j’ai toujours eu la sensation d’être porté en avant. D’être poussé en avant, et de ne jamais vraiment regarder vers le passé.
Vous avez réussi, en quelque sorte, à faire de la pop anglosaxonne en chantant en français. C’est très rare. Comment avez-vous pensé à ce mariage, naturel chez vous ? Ce sont vos influences ?
Même si j’ai eu plein d’influences françaises, les principales influences musicales sont anglo-saxonnes. J’ai toujours pensé les mélodies comme des mélodies anglo-saxonnes. Il y a donc une recherche pour essayer de trouver des sonorités françaises qui marchent avec les mélodies. Je tourne autour, assez longtemps parfois, pour essayer de rendre les choses fluides, comme si elles avaient toujours existé. Souvent, ce sont les sonorités que je recherche en premier. Et parfois, c’est le son qui fait le sens, qui finit par donner le sens. Quand on a une musique au départ, elle évoque des sensations ou des sentiments, elle évoque ce dont on va parler de toute façon, sans savoir vraiment ce que sera le texte. J’ai toujours besoin d’avoir la musique avant les textes.
Et ces musiques, quand vous viennent-elles ?
J’ai toujours une musique dans la tête, que ce soit la musique des autres ou la mienne. J’ai toujours une mélodie qui arrive. Dès que j’arrête de parler, ça y est, j’ai une mélodie.
La musique pop est vraiment une source d’inspiration, où tout est possible avec vous…
Oui, c’est pour ça que je dis que je fais de la pop, parce que tout m’intéresse. Je suis très éclectique. Depuis tout petit, j’écoute plein de choses différentes, du rock, de la soul, de la pop française. C’est tout un mélange de choses, la musique électronique, la bossa nova… J’aime tout quand c’est bien. Si une musique ou une chanson est bien, je me fous de savoir de quel style il s’agit. Si je suis touché, c’est bon. Et donc la pop permet cette liberté-là, de pouvoir faire ce qu’on veut. Tous les coups sont permis. Et quand on a une chanson et qu’elle évoque quelque chose et qu’il y a un style qui s’impose à elle, il faut y aller, il faut foncer.
Est-ce que vous avez des maitres qui vous ont aider à forger votre personnalité, artistique tout du moins ?
Plein. Mais tous les gens qui m’ont inspiré, j’ai vraiment essayé de m’en éloigner, pour ne pas faire de redite, pour que finalement ça ne s’entende pas. Est-ce que mes influences viennent du Velvet Underground, de Syd Barrett ? C’est vraiment les deux maitres anglo-saxons pour moi. Après, il y a eu plein d’artistes que j’ai adorés, mais vraiment ce qui a marqué mon enfance, mon adolescence, c’est vraiment ça. Ce sont ces albums-là, ces artistes-là, un peu David Bowie aussi. Quand j’ai commencé à faire de la musique, tout à coup, le côté français, le côté pop française a pris le dessus, comme Françoise Hardy, Serge Gainsbourg, Brigitte Fontaine, tous les yéyés français. Et tout ça, ça a fait une espèce de chose globale (…)
Est-ce que l’artiste a un rôle à jouer pour vous ?
Je pense qu’il a un rôle de passeur. Un rôle dorlotant aussi. Les artistes arrivent à faire que le temps soit toujours influencé par l’une de leurs chansons. On se souviendra toujours d’un moment très particulier de sa vie qui a été accompagné par une chanson. Et on peut accompagner la vie de quelqu’un. Je dis ça parce que la musique des autres m’accompagne et me fait du bien. Une chanson permet aussi de vous identifier, de dire : je ne suis pas le seul à passer par ces choses, par ces tourments, par ces joies. Je suis accompagné, il y a quelqu’un d’autre qui a mis des mots pour moi, qui est là pour moi. Peut-être que c’est ça. Je n’avais pas la réponse, mais peut-être qu’un artiste est une voix pour les autres.
Et un passeur aussi…
Un passeur, bien sûr. Chaque fois que j’aime quelque chose, j’aime passionnément le partager. Comme quand on est ado, on fait des K7, ou on faisait des K7 – en tout cas, moi – pour faire écouter les chansons qu’on aimait, et puis aussi, dire avec des chansons ce qu’on ne sait pas dire les yeux dans les yeux.
Cet album, on peut dire qu’il a été fait dans trois escales : Saint-Malo, Paris et Londres, ville que vous affectionnez depuis très longtemps. Saint-Malo, pourquoi ?
Je suis breton d’adoption et Saint-Malo est à côté de Rennes, ma ville d’adoption, en Bretagne. J’ai passé beaucoup de temps à Saint-Malo, d’abord pour des vacances, puis ensuite, quand j’étais jeune homme, pour faire la fête. C’est un lieu qui est important pour moi, parce que je m’y sens bien, parce que c’est un lieu inspirant. J’y ai des amis musiciens, le groupe Unloved par exemple, avec lequel j’ai travaillé, qui est un groupe de Los Angeles. Ils sont venus me voir à Noël et ils sont restés. Ça leur a plu, et donc ils sont là-bas. Ils trouvent ça très inspirant…
Comment s’est déroulée la rencontre avec ce groupe américain ?
En fait, je n’ai pas dit du tout qui j’étais. Et quand l’un des deux, Keefus Ciensa m’a demandé mon email, je lui ai donné en pensant que c’était par pure politesse, et je ne sais pas comment – je ne leur ai jamais posé la question – ils sont revenus vers moi plusieurs semaines après. On s’est rencontrés à Londres, et en plus de la passion que j’avais pour leur musique, eux ont aussi beaucoup aimé la mienne. Il y a une amitié très forte qui est née, mélangée aussi à l’admiration artistique, à plein de choses.
Votre musique a un côté universel, qui touche au-delà des frontières françaises. Vous ne croyez pas que la France est devenue très petite pour vous ?
Je ne sais pas. Je ne me suis jamais posé la question. Je pense que si les choses doivent arriver, elles arrivent.
Est-ce que vous avez des objectifs de tournées internationales ?
Non, ce n’est pas un objectif. Ça arrive de temps en temps. Je joue régulièrement à Londres par exemple, en Europe. Mais c’est vrai que je me limite un petit peu moi-même à la France. Peut-être que c’est moi-même qui ferme les portes.
Comment pourrait-on peut présenter cet album assez orchestral, enregistré dans un super studio Abbey Road, en Angleterre ?
C’est difficile de le définir parce qu’il est encore collé contre ma poitrine, comme un bébé qui n’est pas encore né. Pour l’instant, je le serre contre moi, et bientôt il va partir, il va vivre sa vie. Peut-être quand j’aurai pris un peu de distance, je pourrai avoir une meilleure analyse. Je l’ai fait avec mes tripes, mon cœur. Les chansons, elles sortent de vous. Toutes ces musiques, tous ces textes, ça sort de vous. C’est comme un torrent, c’est très difficile à analyser.
Ces textes-là, c’est comme de la poésie, comme des haïkus, des évocations de souvenirs, de rêves, de songes, et il y a toujours un côté énigmatique dans ce que vous dites…
Je ne m’en rends pas compte, parce que moi, je sais de quoi je parle. Je parle de la vie, de la mienne, de celle des autres, comme « Au commencement », qui est une chanson que j’aime beaucoup. C’est une chanson joyeuse. C’est rare de faire des chansons joyeuses.
Etienne Daho « Tirer la nuit sur les étoiles » (Barclay) 2023