Dans son deuxième disque, Don’t Take My Soul, foisonnant et solaire, K.O.G., aka Kweku Of Ghana se dévoile sans fard. Et retourne vers son pays d’origine, le Ghana, pour se reconnecter à ce qu’il a de plus précieux : son âme.
C’est un disque de polyrythmies et d’esprits, de souffle et de corps, de cris et de matières, qui navigue allègrement, et sans l’ombre d’une hésitation, entre les chaloupes cuivrées du high life, les riffs rebelles de l’afrobeat et les flows du hip hop, un album qui s’impose, généreux et touffu, et s’ancre dans l’histoire d’un homme – au présent… C’est un disque au positionnement solaire, au tempo plus souple et moins nerveux que sur le précédent, Zone 6, Agege. Un disque qui résonne comme une affirmation solaire, tout en prenant la forme d’une injonction négative, en forme d’avertissement : Don’t Take My Soul, ordonne son titre, « Ne prenez pas mon âme ! ».
Il faut, pour saisir l’importance capitale de ce nouveau mantra, remonter à ce récent événement fondateur de la vie de son auteur K.O.G., le fameux Kweku Of Ghana, Kweku Sackey dans le civil, souvent dissimulé derrière ses masques fantasques et ses groupes successifs (Onipa, Zongo Brigade, All Star Revolution…) : un voyage psychédélique par ingestion de champignons hallucinogènes « pour désintoxiquer son cerveau, suite à une dépression ».
« Cette expérience complètement folle, en connexion avec mes ancêtres, le cosmos, mes racines, mes blessures, m’a fait prendre conscience de ce que je possède de plus précieux : mon âme, confie-t-il par téléphone depuis le studio de son réalisateur Guts, à Ibiza. Au quotidien, je m’occupe de mon corps (nourriture, sport…), j’abreuve mon cerveau de connaissances… Mais, je néglige bien trop mon âme, cette entité qui me rend vivant et non juste survivant… »
Méditations et rituels
Cette négligence s’explique par toutes ces réalités et autres fausses idoles qui lui subtilisent, au quotidien, ce feu sacré : « Tout dans nos sociétés modernes concourt à te dérober ton âme : l’argent, l’obsession de la rentabilité, les réseaux sociaux… Même l’amour, s’il n’est pas juste et intègre, peut rompre ce lien avec cette partie-là plus intime de toi-même. Alors, aujourd’hui, je ressens ce besoin d’éloigner mon smartphone, de poser la main sur mon cœur et de simplement l’écouter battre… », sourit-il.
Désormais, Kweku se livre à des rituels, des séances de méditation, des transes, des percussions, des cérémonies pour se ressourcer et communiquer avec ses ancêtres : un besoin de ralentir la pulsation d’une vie effrénée, de passer davantage de temps avec ses enfants et avec lui-même.
Et tel fut aussi façonné son disque. Un face-à-face avec son héritage, ses origines. Du fond de son âme. Pour la retrouver, grâce aux encouragements de son réalisateur, le beatmaker, producteur et DJ Guts qui « le connaît mieux que personne, voire mieux que lui-même », K.O.G. a quitté sa ville d’adoption du nord de l’Angleterre, Sheffield, pour retourner un temps dans son pays d’origine, le Ghana, afin d’y puiser l’inspiration nécessaire à l’élaboration de ce disque.
Là, au berceau, il s’est reconnecté aux balbutiements de son histoire. Il est allé saluer la tombe de sa grand-mère à qui est dédicacé cet album. « Elle savait avant tout le monde que je deviendrais musicien. Dans notre village modeste, sans divertissement, je l’accompagnais à l’église spirituelle où elle officiait comme une sorte de prêtresse… Elle m’encourageait alors à chanter de tout mon cœur avec le chœur de vieilles dames. J’étais son seul petit-enfant, d’une composition fragile, et elle remplissait ma vie de musique et d’histoires », se remémore-t-il avec émotion.
Là-bas, au Ghana, Kweku renoue aussi avec ses amis d’enfance, ses camarades musicaux. Et en profite pour inviter dans sa ronde Ogunskele, l’un de ses grands frères musicaux, pionnier du « hip-life », ce mélange explosif entre high life et hip hop ; Fameye, un autre ami, rappeur, figure de l’afrobeats avec sa voix de velours, son spoken word déchirant, et son utilisation de langues anciennes ; ou encore le légendaire Pat Thomas, héros du highlife, père spirituel et mentor à l’aura sage.
Vulnérable et sincère
En immersion sur ces terres ghanéennes, où tout a démarré, Kweku se dévoile sans artifice. « Sur ces pistes, je n’ai pas voulu me cacher. C’est moi, sans filtre… J’y parle des obstacles que j’ai dû surmonter pour immigrer ici, en Angleterre. J’y évoque la paternité, la masculinité toxique, l’amour, l’urgence à vivre le temps présent. J’y raconte la force que me donne ma famille, ma communauté… Je m’y dévoile dans toutes mes vulnérabilités. Je ne veux pas que ce disque soit parfait. Je veux que l’on y ressente ma présence sincère… », déclare-t-il.
Une partie de Don’t Take My Soul a été réalisée en Angleterre où il réside depuis quasiment deux décennies, avec sa nouvelle tribu. Car Kweku l’assume : sa vie se partage désormais entre ces deux pôles, à égalité, qui définissent son identité, l’Afrique et l’Europe, le Ghana et le Royaume-Uni. « Il y a plusieurs thématiques dans ce disque : mon cap artistique désormais clair, l’immigration, ma vie de famille, mon existence actuelle d’exilé, recomposée et multiculturelle… décrit-il.
Sur ces disques, des Africains, des Européens, des noirs et des blancs, dont le poète et rappeur de Bristol, Dizraeli, jouent ensemble pour construire cet univers foisonnant, ce territoire inédit… « Et je mets quiconque au défi de savoir qui joue quoi, avertit Kweku. Preuve que la musique ne saurait être une question de couleur ! »
Dans ce disque, Don’t Take My Soul, premier volet d’une épopée plus large, K.O.G., à l’aise dans ses baskets et dans sa création, marche vers la réconciliation, une sorte de paix intérieure qui embrasse toutes ses expériences et la multitude de ses chemins : une réponse en musique à des déchirures inaugurales. Soit un disque à l’image de cet itinéraire initiatique – ancré et puissant. Une danse extatique où s’invitent les esprits.
K.O.G. Don’t Take My Soul (Heavenly Sweetness) 2024
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Par : Anne-Laure Lemancel