Il y a pile un an, son premier EP le propulsait parmi les rappeurs les plus en vue du Royaume. Bo9al a sorti un nouvel opus vendredi 27 décembre, intitulé Dracula. Avec ce gamin de Casablanca, le rap marocain a franchi un cap, plus réaliste et toujours plus technique.
Comme un candidat à une élection, il a son visage sur les murs de son quartier. Un 4×3 tagué au coin d’une rue d’El Oulfa, vestiges de la campagne promotionnelle annonçant la sortie de son tout premier EP Sbitar. Bo9al (prononcez Bocal) revendique ce rôle de porte-voix des zones déshéritées de Casablanca : « Je parle au nom de tous les jeunes qui n’écrivent pas, qui ne rappent pas. Mon art me permet de m’exprimer à leur place. C’est pour ça que les jeunes des quartiers populaires m’écoutent et me suivent beaucoup. »
Mais Bo9al n’a rien d’un homme politique. Chez lui, pas de langue de bois. Il puise son inspiration dans son quotidien et dans les histoires qui foisonnent à El Oulfa, banlieue pauvre de la capitale économique du Maroc. « Quand je parle de quelque chose, je le mets en gras, je l’explique aux gens clairement », assène-t-il.
Coupe au bol, rasé à blanc sur les côtés, tatouages sur les bras, à 24 ans, Bo9al ne veut faire aucune concession : « Tu peux essayer d’être grand public, en évitant les gros mots pour être diffusé à la radio. Mais tu ne seras pas convaincu par ta propre musique et tu te mentiras à toi-même. » Le rappeur s’adresse à une cible en particulier, capable de comprendre le message qu’il veut délivrer, et tant pis si certains passent à côté.
En 2023, Bo9al s’attire ainsi les foudres de la critique, en sortant le clip « Poufa » où il se met en scène en train de fumer du crack. « Cette drogue vient d’arriver à Casa. Je l’ai montrée parce que les gens ne connaissent pas encore ses dangers », se défend le jeune artiste qui assure se servir du rap comme outil de sensibilisation.
Freestyle
À l’aise sur tous les styles, trap, drill… Bo9al est un génial touche-à-tout qui délaisse volontiers son flow technique pour pousser la chansonnette comme dans son morceau « Makaynch ». Il avoue même avoir enregistré des morceaux de variété, reggae, blues ou encore jazz, mais seulement pour son plaisir et celui de ses amis – ces sons n’ont jamais été diffusés.
Le visage juvénile du rappeur est trompeur. Il a déjà de longues années d’expérience derrière lui. Bo9al a commencé à écrire « sur les tables » du collège. Son premier rap sort sur YouTube en 2016. Mélodie et beat old school, texte revendicatif, dès cette époque Bo9al veut parler au nom du peuple. Les années suivantes, le rappeur continue de peaufiner son art et en 2020, c’est l’explosion. Il apparaît alors dans une émission de freestyle de la chaîne Youtube « Lembawe9 ». « J’étais au courant qu’il y avait un tournage dans le quartier, mais j’avais totalement zappé. En passant, j’ai remarqué l’attroupement, les gars m’ont poussé au milieu. J’ai trouvé une instru trap, j’ai rappé, j’ai fait mon truc et je suis parti. » La vidéo est largement partagée et cumule aujourd’hui plus de 7 millions de vues.
« J’ai rien compris au début, les gens venaient me voir pour prendre des photos avec moi. » Bo9al a eu du mal à appréhender cette notoriété soudaine. « C’était un peu difficile, confie-t-il. J’ai publié deux clips et je me suis arrêté. Quand je suis revenu, j’étais plus à l’aise. » Il lui a fallu plusieurs mois pour digérer tout ça. Après cet épisode, il se fait une promesse : ne jamais mentir sur ce qu’il est. « Je sais ce que je fais, je suis moi-même, je n’ai rien à cacher, je ne cherche pas à me donner une image qui n’est pas moi. »
Deuxième EP
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Bo9al n’a pas vaincu tous ses démons et, dans son nouvel EP Dracula, le rappeur s’est inspiré d’une période compliquée qu’il a vécue récemment. « Dans ce projet, je m’adresse à mes détracteurs. Je renoue avec mon public aussi. Il y a des choses qui me touchent et que je veux partager avec ceux qui m’écoutent. Je leur envoie des messages codés. »
Pendant plus d’un an, Bo9al a arrêté le rap. Le temps lui a permis de faire le tri pour ne garder que « les gens qui sont avec [lui] et [le] soutiennent, les vrais ». Il revient avec le sentiment qu’il n’a rien à perdre et l’envie de faire de nouveau ses preuves. De cette noirceur, il estime avoir tiré le meilleur : « Quand tu viens de traverser les ténèbres, il suffit de passer ce qui reste au tamis. Et tu récupères alors les résidus que tu peux transformer en art. »
Désormais totalement libre et sans pression, sinon celle du travail bien fait, Bo9al a sorti son second EP Dracula le 27 décembre 2024. Le lendemain, il a organisé à Agadir, au Théâtre de Verdure, les retrouvailles avec son public. Un show pour célébrer la culture sous toutes ses formes, bien plus qu’un simple concert. Il y avait de la musique, du rap forcément, mais aussi du skate, du surf et d’autres arts étaient convoqués. « Il faut toujours sortir de sa bulle, de sa zone de confort », conclut le rappeur.
Bo9al Dracula (Bo9al/Chabaka) 2024
Par :Matthias Raynal