C’est le quatrième album pour Songhoy Blues. Avec Héritage, le groupe, dont la plupart des membres ont quitté la région de Tombouctou et vivent en exil dans la capitale malienne, Bamako, s’éloigne de l’électricité qui l’a souvent caractérisé. Il opère un virage acoustique franchement réussi.
On a souvent désigné ces quatre garçons comme des « punks de Tombouctou ». Même si le qualificatif de « punk » est sans doute discutable pour un groupe qui trouve ses origines au nord du Mali, il raconte bien que les Songhoy Blues ont flirté jusqu’à présent avec l’électricité, mélangeant volontiers leur musique au rock occidental. Avec ce quatrième album, Héritage, ils opèrent un tournant vers des sonorités acoustiques.
Leur blues du désert regarde cette fois-ci vers la guitare folk. La kora et le balafon se mêlent à des instruments plus typiques du nord du pays. « Ce n’est pas un album qui appartient seulement aux communautés du nord, cet Héritage concerne toute l’Afrique subsaharienne. On a traversé le Mali du nord au sud, d’est en ouest, pour que tout le monde s’y retrouve », appuie le guitariste Garba Touré.
Hommage aux « ancêtres »
Après que ses membres ont quitté l’instabilité du nord du pays à la suite de l’installation des djihadistes, le groupe est né en exil à Bamako en 2013. Mais l’essentiel de la bande est originaire de Diré, une ville située au sud de Tombouctou. Leur musique rappelle volontiers celle d’Ali Farka Touré, dont le père de Garba Touré a été l’un des musiciens. « Ali Farka est une source d’inspiration pour toutes les générations, y compris la nôtre. C’est une de nos idoles, mais il y a beaucoup d’autres musiciens qui n’ont pas eu la chance de faire la même carrière », estime le guitariste.
Comme lui, les Songhoy Blues sont allés chercher d’anciens morceaux pour donner leur version de ces airs souvent méconnus. « Toukambela » est la reprise d’un morceau interprété par l’Orchestre Kanaga de Mopti, une formation de la fin des années 1970. « Gambary » est une pièce traditionnelle songhaï qui avait été revue en son temps par ce même orchestre. Le soku, le violon monocorde, se trace un chemin entre la guitare acoustique et la calebasse qui rythme toute la musique touarègue.
Avec sa pochette pleine de koris, où se dessine un homme noir derrière un masque, Héritage sonne comme un hommage aux « ancêtres ». « La génération Internet, qui vit dans les grandes villes a tendance à oublier le Mali plus social, la vie dans les grandes familles, et la transmission orale du savoir », note le bassiste Oumar Touré.
Alors que « Gara » incite les jeunes à respecter les valeurs familiales, le titre « Garibou » appelle à « avoir pitié » des « talibés », les enfants des écoles coraniques qui mendient et vivent dans la misère. Quant à « Issa », elle évoque le grave problème de l’eau le long du fleuve Niger à l’heure du réchauffement climatique.
Des tournées internationales
Ce disque a été imaginé durant la pause imposée par le covid-19 et il a été principalement enregistré tout au long de l’année 2022 dans la capitale malienne, entre le studio des Songhoy Blues et le studio Moffou. Il a par la suite été mixé en Angleterre.
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Révélé voici une bonne dizaine d’années par la caravane d’Africa Express, menée par la star anglaise Damon Albarn (Blur, Gorillaz, etc.), le groupe se produit désormais dans des tournées internationales qui le mènent au Royaume-Uni, aux États-Unis, comme en France, où il a trouvé ses repères et se sent bien.
Mais quelles sont les conditions de jeu pour les musiciens au Mali ? Et peuvent-ils gagner le centre et le nord du pays saignés par les affrontements entre les djihadistes et l’armée appuyée par le groupe paramilitaire russe Wagner ? « À Bamako, ça va ! Il y a eu une attaque de grande envergure il y a quelques mois, mais c’est une zone où il n’y a pas trop de peur ! Les groupes jouent dans les clubs tous les week-ends, les boîtes de nuit continuent, rapporte Garba Touré. Mais la situation sécuritaire est trop déplorable pour organiser des concerts au Nord. Même quand tu voyages, il faut se « déguiser ». Des amis ont été incarcérés, on a pris tous leurs instruments et on a brûlé tout leur matériel. Mais ils ont eu la chance d’être relâchés…Il faut être très prudent quand on touche à tout ce que ces gens (les djihadistes : ndla) ont interdit comme la cigarette, le football, et la musique. »
Quand on les appelle ce jour-là, les Songhoy Blues insistent bien sur cette « unité » qui leur tient à cœur. Pour ce disque, ils sont allés chercher le guitariste Afel Bocoum ou la chanteuse Rokia Koné, comme de nombreux musiciens peuls. Ils chantent en songhaï et en bambara, rappelant que, pour eux, l’artiste se place « au centre du jeu » et appelle simplement à la paix.
Songhoï Blues Heritage (Transient) 2025
Par :Bastien Brun