Le mouvement populiste ANO du milliardaire Andrej Babiš est arrivé en tête des élections législatives en Tchéquie avec 34,51 % des suffrages. Celui qui a été Premier ministre entre 2017 et 2021 s’est dit prêt à entamer des négociations avec les deux formations d’extrême-droite SPD et Motororisté, alors que dès dimanche matin, le président Petr Pavel a entamé des consultations avec les leaders des partis élus.
Avec 34,51 % des suffrages exprimés et 80 mandats, le parti populiste ANO de l’ancien Premier ministre tchèque Andrej Babiš a remporté les législatives, devançant largement la coalition sortante Spolu (Ensemble – composé des partis ODS, TOP et des chrétiens-démocrates) du Premier ministre de centre-droit Petr Fiala (23,36 %, 52 sièges), les libéraux de STAN (Maires et indépendants – 11,23 %, 22 sièges), le Parti pirate (8,97 %, 18 mandats) et l’extrême droite du SPD (7,78 %, 15 mandats). Formation conservatrice et eurosceptique aux idées proches de l’extrême droite, Motoristé sobě (Les Automobilistes pour eux-mêmes) accèdent pour la première fois à la Chambre des députés (6,77 %, 13 mandats).
Photo: Český statistický úřad
A noter que le mouvement Stačilo ! (Ça suffit !) qui compte notamment des représentants du Parti communiste tchèque (KSČM) et du SOCDEM font un score médiocre (4,30 %) et ne réussissent pas à entrer à la Chambre des députés. La présidente du KSČM Kateřina Konečná s’est dite prête à continuer malgré cet échec cuisant.
Le mouvement ANO a remporté le scrutin dans 13 des 14 régions du pays. La coalition sortante Spolu du Premier ministre Petr Fiala s’est imposée à Prague, considérée elle aussi comme une région. ANO a remporté une victoire écrasante dans trois régions structurellement défavorisées du pays, à savoir les régions de Moravie-Silésie, d’Ústí nad Labem et de Karlovy Vary. Il y a amélioré son score électoral d’environ dix points par rapport à 2021 et ses gains électoraux dans ces régions ont dépassé les 40 %.
Début des consultations post-électorales
Le président Petr Pavel a entamé dès ce matin au Château de Prague des consultations post-électorales avec les leaders des six partis qui font leur entrée à la Chambre basse.
Petr Pavel a d’abord reçu Andrej Babiš, le dirigeant du parti ANO, qui a déjà discuté d’une éventuelle coopération avec les deux partis d’extrême-droite Motoristé et SPD. Le chef de l’Etat tchèque ne l’a toutefois pas encore encore chargé de former un gouvernement. Andrej Babiš a déclaré qu’une telle démarche serait prématurée et que les discussions avaient principalement porté sur les négociations post-électorales et le rôle de la Tchéquie au sein de l’UE et de l’OTAN.
Le président devrait commenter les discussions à l’occasion d’une conférence de presse à 16 heures.
Le rôle du président dans les négociations sur la composition du gouvernement, quelle qu’en soit la forme, sera intéressant à observer à cet égard. Pro-européen, il est également à l’origine de l’initiative tchèque de munitions pour l’Ukraine qu’Andrej Babiš a promis de stopper s’il était élu puisque, à l’instar de ses homologues slovaque et hongrois, il a basé une partie de sa campagne sur la réduction de l’aide au pays attaqué par la Russie. Ceci consisterait en un revirement majeur pour la Tchéquie dont le gouvernement Fiala a soutenu l’Ukraine depuis le premier jour et, au sein de l’UE, accueille le plus grand nombre de réfugiés par rapport au nombre d’habitants.
Au vu de l’écart entre le vainqueur et la coalition gouvernementale Spolu, Petr Pavel doit toutefois nommer Andrej Babiš Premier ministre et le charger de former un gouvernement. Le milliardaire tchèque qui dit avoir promis il y a quelques jours au chef de l’Etat de régler, en cas de victoire, les questions de conflits d’intérêt qui le concernent, a d’ores et déjà affirmé qu’il souhaitait former un gouvernement minoritaire avec les deux partis d’extrême-droite SPD et Motoristé.
Le score bien moins important du SPD que ce que prédisaient les sondages ne permettra pas à ce dernier d’imposer certaines de ses ambitions telles qu’un référendum sur la sortie de l’UE, alors même qu’Andrej Babiš ne souhaite ni un Czexit ni une sortie de l’OTAN.
C’est probablement ce qui, malgré la configuration apparente, a permis au président tchèque de déclarer à l’issue des résultats, via le réseau social X, que « les résultats [montraient] que les électeurs ont confirmé l’orientation pro-occidentale de notre pays ». Il s’est également félicité de la « forte participation aux élections de cette année démontrait clairement l’intérêt des citoyens pour la vie publique » et a dit souhaiter que la Tchéquie ait « un gouvernement stable, qui traitera des questions fondamentales de notre pays et garantira la prospérité et la sécurité des citoyens. » Un nombre record de mandats féminins
En 2021, un nombre record de 50 femmes ont siégé à la Chambre des députés, cette année, elles seront 67, soit un tiers. Le parti STAN et les Pirates ont même un nombre record de mandats féminins, avec respectivement 14 femmes et 8 hommes et 15 femmes et 3 hommes.
Vingt-six partis, mouvements et groupes se disputaient les sièges de la Chambre des députés, qui en compte 200. Six d’entre entrent finalement à la chambre. 4 463 candidats se sont présentés aux élections et environ 8 millions d’électeurs ont été appelés aux urnes.
A noter que Julie Smejkalová, 21 ans, qui étudie le droit à l’Université Charles de Prague, sera la plus jeune députée dans l’histoire de la Tchéquie. Élue sur la liste du parti STAN à Prague, où elle figurait à la 9e place, elle a obtenu un nombre record de 9 000 votes préférentiels.
Réactions de l’étranger
En Slovaquie voisine, les responsables politiques locaux ont exprimé leur joie et et ont dit espérer un renforcement des relations entre la Tchéquie et la Slovaquie qui ont été marquées l’an dernier par la décision du gouvernement sortant de Petr Fiala de suspendre les consultations intergouvernementales avec Bratislava.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a qualifié la victoire du mouvement ANO aux élections législatives tchèques de grand pas en avant pour la Tchéquie et de bonne nouvelle pour l’Europe. Dans un message publié sur Facebook, il a également félicité le président du parti Andrej Babiš et déclaré que la vérité avait triomphé – reprenant probablement la devise officielle de la Tchéquie inspirée du réformateur Jan Hus.
Le chef de file du Rassemblement national Jordan Bardella a également félicité Andrej Babiš sur son compte X : « En République tchèque, c’est un raz-de-marée en faveur de la liberté d’entreprise, pour mettre fin à l’écologie punitive, contre l’immigration incontrôlée. » Marine Le Pen aussi s’est fendue d’un tweet de félicitations : « Toutes mes félicitations à Andrej Babiš et au parti ANO qui arrivent largement en tête des élections législatives en République tchèque. Partout en Europe, les partis patriotes sont appelés au pouvoir par les peuples, désireux de retrouver leur liberté et leur prospérité ! »
L’Italien Matteo Salvini, membre du groupe Patriotes pour l’Europe au sein du Parlement européen comme le parti ANO, s’est également réjoui du succès électoral de son allié Andrej Babiš.
Une participation record en Tchéquie et à l’étranger
Près de 5,59 millions de Tchèques ont voté lors des élections législatives de cette année, soit environ 216 000 de plus qu’en 2021. Le taux de participation a atteint 68,95 %, ce qui en fait le troisième plus élevé depuis 1996.
Le ministère tchèque des Affaires étrangères a constaté une forte affluence d’électeurs votant à l’étranger munis de leur carte d’électeur. Aucun incident majeur n’a été relevé au cours du scrutin hors du territoire national. « Nous avons constaté un grand nombre d’électeurs non inscrits sur les listes, mais qui se présentaient avec une carte d’électeur », a souligné Pavel Pešek, directeur du département consulaire du ministère. À titre d’exemple, à Chișinău, neuf électeurs figuraient sur les listes, mais environ 70 autres ont voté grâce à leur carte d’électeur.
Le ministère n’a relevé aucun problème sérieux, bien qu’il ait dû résoudre certaines difficultés logistiques avant le scrutin. En raison d’une grève des services postaux au Canada, les ambassades et consulats tchèques sur place ont proposé aux électeurs d’autres moyens pour expédier leurs bulletins. Aucune complication n’a été signalée en lien avec la guerre en Ukraine ; à Kyiv, environ quarante citoyens tchèques ont voté.
Une participation record a été signalée en France avec 1 174 électeurs en tout, dont 426 qui ont eu recours au vote par correspondance, alors que cette élection marsquait la toute première utilisation de cette façon de voter.
Chez les Tchèques à l’étranger, la coalition Spolu (39,26 %) a remporté la victoire devant les Pirates (28,24 %) et le parti des Maires et Indépendants (STAN – 21,48 %). Les autres groupes ont échoué, ne dépassant pas la barre des 5 %. Le mouvement ANO, qui a remporté la victoire au niveau national avec plus d’un tiers des voix, n’a obtenu que 4 % à l’étranger, tandis que les Motoristé et le SPD ont obtenu 2 % chacun.
79,38 % des 37 654 électeurs inscrits ont voté à l’étranger. Parmi eux, 8 978 ont voté par correspondance pour la toute première fois. Les commissaires électoraux ont toutefois dû invalider 221 bulletins de vote envoyés par la poste pour non-respect des conditions légales.
Quelques incidents survenus au cours du scrutin
La police tchèque a signalé que quelques incidents mineurs étaient survenus lors de ce scrutin, avec par exemple un président de commission auquel ont été mesurés 2,5g d’alcool dans le sang, une poubelle en feu devant un bureau de vote ou encore un soutien non autorisé à un mouvement politique via la présence d’un véhicule recouvert d’autocollants près d’un bureau de vote ou encore le vol d’un drapeau tchèque. Aussi, un électeur s’est présenté au bureau de vote alors qu’il avait déjà voté, tout en affirmant ne pas avoir voté. Enfin, à Prague, les forces de l’ordre ont ouvert un enquête sur un drame survenu dans un bâtiment où se trouvait un bureau de vote et où un homme a sauté par la fenêtre. Il n’a pas survécu à sa chute.
radio.cz / Anna Kubišta
