Écouté par une grande partie de la jeunesse africaine qui en a fait un de ses artistes références, le chanteur nigérian Davido agite avec ferveur le drapeau de l’afrobeat urbain pour tenter de rallier à sa cause un public toujours plus large, en particulier outre-Atlantique. Avec A Good Time, son nouvel album, il ne manque pas d’arguments.
Il a fini par se conformer aux conventions de l’industrie musicale, par rentrer dans le moule même si celui-ci s’est complètement déformé depuis l’avènement de la digitalisation et des nouvelles façons de consommer de la musique. Avec A Good Time, Davido donne enfin un successeur à son premier album Omo Baba Olowo, The Genesis paru en 2012.
Entre-temps, à coup de titres isolés clippés comme il se doit et diffusés sur tous les canaux traditionnels ou 2.0, il est devenu une des stars de la musique nigériane. Son rayonnement s’est propagé d’abord sur tout le continent auprès des artistes de la nouvelle génération et ensuite au-delà, comme en témoigne sa récente participation au double album Poison ou Antidote du Franco-congolais Dadju.
Au cours des « sept longues années » qui séparent ses deux projets discographiques, l’artiste de 27 ans assure sur sa page Facebook être « passé par un processus de changements importants ». Il le résume en quelques phrases : « Dans les moments tristes, j’ai perdu des proches, famille et amis. Et dans les moments les plus heureux, j’ai créé des vies (Imade, Hailey et David Jr). J’ai mené des combats de toutes sortes et sur tous les fronts : spirituel, physique, mental, émotionnel et même politique. »
L’auteur de ce qu’il qualifie lui-même d’« album du siècle » explique que A Good Time « parle de cette aptitude à faire confiance à ce qui se passe dans ta vie, à apprécier les bons moments et persévérer quand ça ne va pas. Il n’y a pas d’autre moment que le présent et c’est Un Bon Moment (A Good Time, NDR) d’être en vie, d’être un AFRICAIN FIER (sic) et de se battre pour la liberté des uns et des autres – dans l’unité ».
La pochette de l’album est l’illustration même de ses propos. Au recto, pour évoquer les moments agréables, un dessin qui conjugue à la fois l’inspiration de la cène et celle d’une party qui pourrait se dérouler dans une grande villa à Miami, avec le faste qui convient, et en personnage central un Davido qui grimpe sur la table pour danser. Bref, la fête, sous les palmiers et les cotillons. Au verso, aux côtés de son père Adedeji Adeleke, l’une des plus grosses fortunes du pays, le chanteur se recueille devant une statue néo-classique représentant sa mère décédée.
Effectifs pléthoriques
Sur les dix-sept titres (soixante minutes au total), quelques-uns ont déjà contribué à la popularité de l’artiste et il lui aurait été difficile de ne pas les inclure, comme If et Fall parus en 2017. En guise de teaser lâché en juillet, Blow My Mind avait aussi parfaitement rempli son objectif : grâce à ce duo avec le roi du r’n’b américain Chris Brown, le Nigérian est revenu dans le jeu en devançant son compatriote et ex-meilleur ennemi Wizkid dans la course au million de vues, atteint seulement onze heures après la mise en ligne de la vidéo !
Enregistré en une multitude de lieux (Londres, Los Angeles, Lagos, Accra, Atlanta) mais avec une unité de style indéniable, A Good Time est une entreprise qui a recruté dans toute la Naija music, cet afrobeat urbain du 21e siècle où les programmations ont remplacé les instruments. La division du travail autant que la répartition des taches impressionne. Les effectifs sont pléthoriques : il y a parfois pour un seul morceau pas moins de cinq coauteurs qui sont aussi co-compositeurs !
Le maître d’œuvre a fait en sorte de prendre à son service les personnes idoines. Par exemple, le producteur P2J, tête de pont de l’afrobeat en Occident, très présent sur l’album The Lion King : The Gift de la reine du r’n’b Beyoncé, commercialisé en juillet parallèlement à la sortie du film Le Roi Lion. Ou encore le chanteur Naira Marley, valeur montante sulfureuse de la scène locale, qui s’est notamment fait remarquer avec I Am A Yahoo Boy, s’identifiant ainsi aux cybercriminels de la fameuse « arnaque à la nigériane ». On trouve aussi le Jamaïcain Popcaan, qui avait déjà partagé le micro avec Davido en 2017. Cette fois, il vient pour un featuring sur Risky dans un esprit proche de celui qu’il avait fait sur Controlla du rappeur canadien Drake.
Devant un poisson frit sauce gombo, dans une vidéo pour la plateforme de streaming Spotify, celui qui fait partie des artistes africains les plus influents aujourd’hui dévoile la ligne qu’il cherche à suivre et les intentions qui l’animent : « Je suis à moitié américain et à moitié nigérian. Quand je satisfais mes fans du Nigeria, mon public américain ne comprend pas ce que je dis et me le reproche. Lorsque je fais de la musique, j’ai toujours en tête que je m’adresse à deux sortes de gens. »
Dans les faits, cela l’a conduit à dépasser cette dualité et définir un terrain commun, dont il affine un peu plus le périmètre sur A Good Time, sur le plan artistique. Au-delà du calcul apparent et des considérations stratégiques.
Davido A Good Time (Columbia) 2019
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Par : Bertrand Lavaine