La rappeuse Illustre sort en cette rentrée, un premier album intitulé Ille, une jeune femme atypique que d’aucuns comparent quand même à Diam’s.
Ce n’est un secret pour personne : depuis le retrait de Diam’s, le rap féminin à la française n’a pas trouvé de personnalité à la hauteur. Avec la sortie de son premier album Ille, Illustre, Claire de son prénom, 24 ans, brièvement slameuse lancée dans le hip hop via les scènes ouvertes de Clermont-Ferrand où elle habite, amène un vent de fraîcheur dans le monde formaté du rap français.
Loin de la zumba auto-tunée qui domine les charts, cette artiste LGBT remet les textes au centre du débat, sans pour autant se poser en donneuse de leçons ou en héraut de l’homosexualité. Avec des titres comme Type chelou, réflexion sur la binarité des genres et le regard porté sur la différence, cette rappeuse atypique fait preuve d’une originalité certaine et s’impose comme une amoureuse des mots qui ont du sens. Rencontrée à Paris à la terrasse d’un café, Illustre nous entrouvre la porte de son univers particulier.
RFI Musique : vous êtes souvent présentée comme une rappeuse LGBT. Est-ce que cette dénomination vous convient ?
Illustre : C’est une case qu’on m’a assignée, autant la choisir mais je n’ai pas envie d’être un porte-drapeau. J’affirme mon identité, ce n’est ni une honte ni une fierté, c’est important de le rendre public pour que ça fasse partie du quotidien.
Comment a démarré votre intérêt pour le rap français, un genre majoritairement masculin ?
Ça a été l’amour des mots. J’aime les chansons à texte, je suis passée par Saez et Fauve, j’ai écouté Diam’s. Je ne me suis pas dit qu’il n’y avait pas assez de filles dans le rap, mais plutôt que c’était dommage qu’il n’y ait pas assez de sens dans les textes. Je ne viens pas du milieu rap. Mais ce n’est pas parce que je n’ai pas la même histoire ou le même parcours que je dois en être écartée. On a le même amour pour les mots, au-delà du fond et de la forme, c’est un état d’esprit. C’est là où est la culture hip hop.
Dans Mémoire, vous dites « On peut aimer son pays sans être nationaliste (…) Sans être un putain de raciste »…
Quand on rend un texte public, on prend des risques. On doit assumer ce qu’on dit mais on n’est pas responsable de ce que les autres comprennent. On est toujours sur la fine limite entre la défense d’un propos et la recherche du questionnement chez l’autre. Je ne cherche pas à donner des réponses mais à ce que les gens se posent des questions. Si ça crée un débat, c’est que le travail est fait.
Dans Maladif, votre phrasé fait penser à celui de Diam’s…
Elle m’a indéniablement influencée. On fait beaucoup cette comparaison autour de moi, peut-être aussi par manque d’identification parce qu’il y a trop peu de filles qui rappent. C’est flatteur, mais à aucun moment, il n’y a de similitudes entre nos deux parcours. On m’a même comparée à Chilla, alors que nous n’avons rien à voir.
Quel public pensez-vous concerner ?
Je ne voulais pas m’arrêter à un public jeune qui n’écoute que du rap. Je veux donner du sens tout en gardant une dynamique en cohésion avec le genre musical, dont je ne veux pas trop m’éloigner. Mon album est en dualité avec une face virulente et une autre plus introspective, et je remarque que les deux facettes touchent deux publics différents. J’essaie de casser la binarité du propos sur le rap. C’est important de garder les bases tout en se reconnaissant dans cette nouvelle génération. Je peux aussi bien écouter Lomepal que Kaaris, Aloïse Sauvage ou Hatik, et j’aime aussi la musique classique. Il faut que je ressente, c’est ma ligne directrice.
Beaucoup d’artistes urbains ne se projettent pas dans l’avenir. Et vous ?
Je n’ai pas assez d’expérience pour pouvoir le dire mais quand Eddy De Pretto affirme que « le plus dur n’est pas d’y arriver mais d’y rester », je suis assez d’accord. On est dans une mouvance où on consomme la musique plutôt que de l’écouter. Ça n’empêche pas qu’on peut avoir une carrière, c’est un travail de fond, il faut se projeter, voir l’ensemble. J’ai envie que ça ne tombe pas en un an comme un effet de mode.
Aux États-Unis, des rappeuses comme Nicki Minaj ou Megan Thee Stallion semblent revendiquer le statut de femme objet…
C’est un parti pris, c’est paradoxal mais on a besoin de ça pour amener autre chose. Je respecte ça. Des artistes comme Shay arrivent avec plus de subtilité mais amènent la féminité poussée à l’extrême. Ça a du mal à passer ici, le public français n’est pas encore à même de le recevoir.
Quelle est votre ambition commerciale ?
Quand c’est conscientisé et fait avec passion, on est content du résultat. Le reste, c’est un plus. Mais on a envie que ça soit partagé et aimé. Je ne vais pas mentir, j’aimerais que mon projet fonctionne, mais ce n’est pas ce qui me gouverne.
Pensez-vous qu’un artiste doive révéler une part de son intimité ?
Un titre comme À la recherche des mots perdus sur mon premier EP, je pleure en l’écrivant. Là, c’est moi et moi-même. On dit qu’on monte sur scène avec un personnage mais on se met à nu, on est trahi par ce qu’on est. C’est ce que je recherche, c’est pour ça que j’aime autant Jacques Brel. C’est de la transcendance, en fait. Et pour y arriver, il faut être sincère avec soi-même.
Brel qui n’était pas le plus féministe des artistes…
Je sépare l’homme du chanteur ! (Rires)
Illustre Ille (X-Ray Production) 2020
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Par : Olivier Cachin