Avec son approche qui allie électro et musiques traditionnelles, le producteur et multiinstrumentiste réunionnais Loya bouscule les repères entre les îles de l’océan Indien. Pour Blakaz Antandroy, il poursuit sa démarche stimulante avec la troupe Remanindry de Madagascar.
L’effet a été immédiat. Dès qu’il a découvert quelques enregistrements de Remanindry, alors qu’il préparait un concert dans le cadre d’une exposition sur Madagascar au musée du Quai Branly à Paris en novembre 2018, Loya s’est senti irrésistiblement appelé. « Cette musique me parlait », assure le Réunionnais de 49 ans installé en métropole depuis plusieurs décennies. Des images d’enfance ressurgissent, des souvenirs chez son grand-père, prêtre tamoul guérisseur.
L’envie irrépressible de se rendre sur la Grande Île de l’océan Indien pour aller voir de plus près ne le quitte plus. Il remonte la piste de cette troupe emblématique de la culture antandroy, ethnie du sud aride et épineux de Madagascar, et le voilà à Tuléar, capitale régionale connue sur le plan musical pour être la place forte du tsapiky.
C’est toutefois dans un registre très différent, cultivé et transmis en famille, que s’illustre Remanindry : des rites et des rythmes enracinés dans les traditions de ce peuple au mode de vie longtemps pastoral ; un chant physique, porte d’entrée vers la transe, tout comme la danse qui tantôt suit les musiciens, tantôt les mène.
Avec son lokanga, une vièle à archet qui pourrait être le cousin du sokou malien ou de l’esraj indien, l’imposant chef de clan est venu en Europe dès 1997 et a fait partie de l’aventure du Ny Malagasy Orkestra monté par Justin Vali en 2008 – il joue aussi un rôle sur mesure dans le long métrage Haingosoa, du réalisateur Édouard Joubeaud, sorti en 2019.
Fils du maloya et de l’électro
La rencontre avec Loya, qualifiée d’« intense » par ce dernier, dévoile son potentiel dès que la musique est concrètement au menu et qu’ensemble, ils se lancent sur les chemins de l’improvisation. « Ils ont vu que les machines pouvaient jouer comme un instrument normal », raconte l’ex-ingénieur informaticien, arrivé avec une boite à rythmes « assez avancée, qui peut faire synthétiseur ».
Un premier concert à l’Alliance française de Tuléar scelle cette amitié artistique naissante. L’occasion de prendre conscience que, dans sa pratique, chacun a ses codes et qu’il n’est « pas si facile de communiquer musicalement quand tu veux organiser les choses à l’européenne », en particulier pour aboutir à une set list avec des chansons auxquelles leur interprète n’a pas donné de titres !
Pour compléter les nombreux enregistrements qu’il a rapportés chez lui et laissé reposer avant de mieux se replonger dedans, le Réunionnais retourne auprès de Remanindry en 2022. Entre eux, la confiance franchit un nouveau palier et l’idée d’un album s’impose.
Depuis qu’il a démissionné de la fonction publique après s’être reconnecté avec son île en 2016, Loya a développé un projet musical qui combine deux mondes qu’il connait et dans lesquels il se reconnait : celui des machines, et celui du traditionnel. Il est à la fois fils du maloya et de l’électro, celle qu’ont fait connaitre les artistes pionniers du label anglais Warp : Aphex Twin, Richie Hawtin, Plaid, Autechre…
Goudronner les sentiers musicaux de l’océan Indien
Pour vérifier que le dialogue musical qu’il imagine fonctionne, il décide d’aller voir « les anciens ». Le premier, Régis Gizavo, est emballé, mais malheureusement décède peu de temps après. Avec le Mauricien Menwar, il sort en 2020 un premier volet de sa série Blakaz, un terme réunionnais qui signifie « goudronnage » et qui traduit son souhait de relier les acteurs de l’océan Indien par des voies plus praticables.
Un autre EP suit début 2024 avec L-Had, figure de l’utende, le slam traditionnel de Mayotte. Des collaborations ont aussi eu lieu avec le Comorien M’madi Mwegne, maitre du ndzendze, ou encore le percussionniste srilankais Balakouma ParamaLingam, afin de rendre hommage à la musique indienne.
NewsletterRecevez toute l’actualité internationale directement dans votre boite mailJe m’abonne
Pour l’album Blakaz Antandroy, avec Remanindry, Loya confie avoir mis « beaucoup de temps à savoir comment aborder cette matière », lui qui aime la sculpter et brouiller les pistes pour que l’on ne puisse plus discerner acoustique et électronique.
« Une fois que j’ai trouvé le concept, les instruments, la façon d’arranger, tout coule de source », ajoute cet adepte du minimalisme, partisan de « raconter l’histoire avec peu d’éléments »à travers un sound design qui souligne sans insister. « Je voulais rester fidèle à l’univers spirituel, que la voix qui parle aux esprits soit vraiment présente », explique-t-il. À travers ses machines, les incantations de Remanindry n’ont rien perdu de leur effet originel.
Loya Blakaz Antandroy (2024)