Dakar/ Des cris de joie et des youyous ont envahi la salle du tribunal des Chambres africaines extraordinaires, après l’énoncé du verdict dans ce procès historique. Historique, car plus de 20 ans après les faits, c’est l’homme accusé d’avoir été à la tête d’un système de répression féroce qui était jugé.
Ce qui est reconnu ce lundi, c’est la responsabilité de Hissene Habré, président du Tchad de 1982 à 1990, dans ce système qui s’en est pris d’abord aux opposants ou ceux soupçonnés de l’être, puis à plusieurs communautés du sud du pays, accusées de façon indiscriminée de soutenir des rébellions contre son régime. Sans négliger les détails, le juge a fait la description de tout un système, lancé dès les semaines qui ont suivi la prise du pouvoir par la force de Hissène Habré en 1982.
Le grand ordonnateur
La Cour reconnait l’implication directe d’Hissène Habré dans le système répressif mis en place dont il est le grand ordonnateur. Pour la Cour, l’ancien président a concentré tous les pouvoirs et a créé un système où la terreur et l’impunité faisaient loi.
Le président de la Cour, Gberdao Gustave Kam : « Hissène a au minimum autorisé la mise en place des réseaux des prisons, la DDS y compris la construction de la piscine en 1987. Il s’est également assuré de son bon fonctionnement à travers la DDS.
Hissène Habré donnait des ordres d’arrestation, de libération et d’exécution de prisonniers détenus dans les prisons de la DDS. Hissène Habré participait directement aux interrogatoires et aux séances de torture, parfois en infligeant lui-même des sévices ou en les ordonnant. »
Des énoncés nourris par les milliers de documents de l’instruction : 2 500 procès-verbaux d’audition et les archives de la Direction de la documentation et de la sécurité, la fameuse DDS, sur laquelle Hissène Habré avait, confirme le juge, la haute main. La DDS, avec plusieurs entités sécuritaires, fondait le régime Habré.
La Cour décrit encore comment, sous la houlette de la DDS, se sont multipliées les arrestations extrajudiciaires, les conditions de détention atroces et systématisées, la pratique de la torture, mais aussi du viol.
La Cour, a dit le juge, « a été convaincue » par le témoignage de Khadija Hassan Zidane, qui avait affirmé pendant le procès avoir été violée par Hissène Habré lui-même.
Le résultat de 26 ans de lutte
Le président de la cour, Gbertao Gustave Kam n’a pris en compte aucune circonstance atténuante,
notamment l’âge de l’accusé ou le fait qu’il est considéré comme un bon père de famille. Le président Kam et la
Cour ont considéré que les circonstances aggravantes devaient entraîner cette condamnation à la perpétuité.
Dans le camp des parties civiles, c’est la joie qui domine, après plus de 26 ans de lutte judiciaire. Ce procès a été difficile à mettre en place, mais il s’est tenu. Et ce sont les larmes et les réjouissances de femmes, d’hommes, de victimes, qui ont été les plus marquantes après l’énoncé du verdict dans la salle d’audience.
Pour les trois avocats commis d’office qui ont défendu Hissène Habré, cette condamnation à perpétuité est trop lourde, trop dure. Elle n’est basée, affirment-ils, sur aucune preuve concrète. « Aucune preuve n’a été rapportée et nous, en tant qu’avocats de la défense, nous nous sommes évertuées à prouver l’innocence du président Habré, là où l’accusation a failli dans sa mission de prouver les faits. En conséquence, nous ne pouvions que nous attendre à un verdict d’acquittement. Celui d’aujourd’hui, qui est un verdict de condamnation extrêmement sévère, nous a surpris. Quand on est condamné dans des conditions comme celles-là, la décision ne peut pas plaire », a déclaré juste après l’énoncé du verdict maître Mbaye Sène, l’un des avocats du condamné.
Hissène Habré est resté, lui, complètement impassible. Le président Kam a donné quinze jours à partir de l’énoncé de ce verdict pour que ses avocats commis d’office fassent appel. Il faudra voir, dès ce lundi, s’ils lancent cette procédure qui amènerait à un nouveau procès devant ces Chambres africaines extraordinaires.