L’espoir d’une transition démocratique s’éloigne de jour en jour au Soudan. Depuis mercredi 5 juin, trois chefs de la contestation civile ont été arrêtés par l’armée, qui depuis la répression dans le sang du sit-in lundi 3 juin, ne semble plus faire dans la retenue. Derrière les militaires, des mercenaires venus du Darfour ou des pays frontaliers, prêts à se battre pour le pouvoir.
Sommer «les rats de regagner leur trou». Les mots lachés en décembre aux prémices de la contestation par le dictateur déchu Omar el-Béchir semblent aujourd’hui être pris au pied de la lettre par l’armée et le Conseil militaire de transition. Après la répression lundi 3 juin dans le sang, -113 morts et plus de 500 blessés selon le comité des médecins, proche de la contestation-, du sit-in devant le siège de l’armée, les militaires ne semblent plus faire dans la retenue. Vendredi 7 juin, après leur rencontre avec le Premier ministre Abiy Ahmed, qui essaie de jouer la figure de médiateur, deux figures de la contestation ont été interpellées par l’armée.
Mohamed Esmat, un responsable au sein de l’Alliance pour le Changement (ALC), a été cueilli par des hommes armés dans une voiture tandis qu’il sortait de l’ambassade d’Éthiopie. Ismaïl Jalab, du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM-N), aurait été enlevé dans la nuit de vendredi à samedi. Vers 3 h du matin, des hommes armés sont venus à sa résidence et l’ont amené vers un lieu inconnu, indique le SPLM-N. Mercredi, c’est une autre figure de la contestation, Yasser Amran qui avait été arrêté. Depuis, on ne sait où ces hommes. Les deux hommes forts du Soudan paraissent inarrêtables, et le dialogue, impossible. Les leaders de la contestation ont indiqué dans la semaine ne pas vouloir dialogue avec une entité qui «tue» des civils. À la tête du conseil militaire de transition : le général Abdel Fattah al-Burhane, militaire de carrière, jusque-là inconnu du grand public. Son numéro deux en revanche rappelle les heures sombres du pays. Il s’agit du redouté général Mohammed Hamdan Daglo, un ancien chef de milice au Darfour.
L’armée régulière est soutenue par les paramilitaires des RSF, les
Forces de Soutien Rapide, un avatar des Janjawid, des milices accusées
d’atrocités durant la guerre civile au Darfour. Des hommes en uniformes
beiges et armés de kalachnikov, qui déambulent dans les rues, à pied ou à
bord de pick-up, lourdement armés, selon l’AFP. «Ce sont des
mercenaires qui viennent de l’ouest du Soudan, mais aussi des pays
voisins. Le Soudan est devenu un pays attractif où ces jeunes
aventuriers, desesperados, pillards, violeurs, bandits de grand chemin,
se vendent au plus offrant», explique Marc Lavergne, directeur de
recherche au CNRS, spécialiste du Moyen-Orient et de la Corne de
l’Afrique, attaché à l’université de Tours en France. Le plus offrant
pouvant être l’Arabie Saoudite ou le Soudan, ajoute le spécialiste,
qui parle des RSF comme d’éléments «très dangereux», «ce sont des gens qui ne reculent devant rien et qui aujourd’hui sont lâchés dans la capitale». Ces
mercenaires sont soutenus par l’armée régulière soudanaise, mais aussi
par les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, l’Égypte, «et quand on pointe ces pays là, on pointe aussi leurs pays alliés, c’est à dire la France», estime le chercheur, «des pays qui veulent conquérir l’Afrique et piller ses richesses».
«A Khartoum, on est devenu comme le Darfour»
Marc Lavergne parle des citoyens de la capitale soudanaise comme des personnes choquées. «À Khartoum maintenant, on est devenu comme le Darfour, me racontent des personnes sur place». Aujourd’hui, en lieu et place d’un sit-in qui a duré deux mois et aspirait à une transition pacifique, des tentes au sol, certaines calcinées, et une atmosphère de peur a remplacé l’espoir d’une transition pacifique.