Incontestable sacre de Benjamin Biolay, vendredi 12 février à la Seine Musicale, lors de cette 36e édition des Victoires de la musique, sans public. Le chanteur l’emporte dans deux des catégories reines : artiste masculin et album de l’année. Révélation album l’an passé, Pomme damne cette fois-ci le pion à Aya Nakamura chez les femmes.
Plus qu’un Jean-Louis Aubert empoignant difficilement en ouverture sa chanson de contexte (Un autre monde), ce sont les mots qui s’impriment derrière lui en grosses lettres rouges et jaunes qui happent d’abord : « spectacle », « art », « culture », « technicien », « culture »…, des mots annonciateurs d’une soirée traversée par les secousses de la crise sanitaire sur un secteur privé de scène depuis quasiment une année.
De l’amertume, du ressentiment, des invectives, des élans d’espoir ont accompagné les interventions. On a entendu notamment Aubert dans un troublant discours inaugural, entre instants gênants, piques adressées à la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, et belles échappées. Qui s’est amusé aussi à jouer avec le mot « honneur » (puisqu’il en était président), au point de finir par en faire un doigt. À qui ? À quoi ? Et puis Benjamin Biolay, lucide (« ça n’a pas été une année très victorieuse pour la musique ») et couperet (« un silence assourdissant des pouvoirs publics et des ministres de tutelle ») lors de la remise de son premier prix.
Au lendemain de sa lettre publiée sur le site de Médiapart, dans laquelle elle déclare avoir été victime de violences sexistes à ses débuts, Pomme a appelé à une industrie musicale « plus safe pour les femmes ». Autre combat, évidemment essentiel lui aussi.
La cérémonie a la mauvaise réputation de traîner en longueur, on le sait. Elle a curieusement été moins lénifiante qu’à l’accoutumée, plutôt fluide, rythmée par l’enchaînement des prestations musicales. Au lieu d’une Daphné Bürki si envahissante par le passé à la présentation, un duo Stéphane Bern/Laury Thilleman discret et passant juste les plats. Pas de public cette année, seulement deux cent figurants en salle pour faire illusion, ce qui n’a pas empêché l’ex-Miss de France de parler d’ovation en toutes circonstances.
À voir aussi : la cérémonie en images
Que faut-il retenir vraiment de la soirée ? La fraîcheur et l’énergie folle d’Hervé, vainqueur de la Révélation homme (devant Hatik, un peu à la surprise générale) qui a donné l’impression qu’il se produisait au stade de Wembley ? La tendresse et la justesse du verbe de Lou Doillon à l’égard de sa mère, Jane Birkin, récompensée d’une Victoire d’honneur ? La fragilité hypnotique du chant de Pomme ? Yseult, logique Révélation féminine et saisissante dans son interprétation du majestueux Corps ? Benjamin Biolay, conquérant avec un Comment est à ta peine offert dans une inédite version à la section rythmique implacable ?
Ce morceau, à la fois consolateur et boostant, a pris le pouvoir pendant le premier confinement. L’emballant album Grand prix a pris la suite pour prolonger le règne du dandy détenteur désormais de six Victoires. Il aurait même pu en chiper une supplémentaire s’il ne s’était pas heurté aux 60 millions de vues sur YouTube de Mais je t’aime (Grand Corps Malade et Camille Lellouche, en dedans et noyés au milieu de l’orchestration grandiloquente ce vendredi) pour la Chanson originale soumise au vote du public.
Sinon, on ne sait toujours pas l’astuce du tour de passe-passe concernant Michel Jonasz, dont la nomination pour une chanson confidentielle (La maison de retraite) en avait laissé beaucoup pantois. Et parmi l’hommage aux disparus, Anne Sylvestre n’a eu droit qu’à moins de quinze secondes d’évocation sur écran. Une vraie bassesse, une impardonnable ignorance.
Le palmarès
Artiste masculin : Benjamin Biolay
Artiste féminine : Pomme
Révélation masculine : Hervé
Révélation féminine : Yseult
Album : Grand Prix – Benjamin Biolay
Chanson originale : Mais je t’aime – Grand Corps Malade & Camille Lellouche
Création audiovisuelle : Nous – Julien Doré
Titre le plus streamé : Ne reviens pas (feat Heuss l’enfoiré) – GradurPar :